Contribution de Marc Ragouilliaux
Sommaire :
- Introduction : revenir sur les notions d’alliances et de stratégie.
- L’alliance pour un contrat social et écologique
- Délimitation de l’alliance et rapport de classes
- Du conflit de classe à l’heure du capitalisme tardif
- Pour un contrat social et écologique à base nationale et européenne.
- Conclusion : que chaque communiste soit un maillon de la construction de cette alliance progressiste partout où il intervient.
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Introduction : revenir sur les notions d’alliances et de stratégie.
Nos contributions critiques les plus évidentes envers la direction actuelle du parti s’expriment à propos de la notion on ne peut plus nécessaire des alliances. On observe après les échecs des séquences électorales des européennes et des législatives une insuffisante volonté critique envers les fondements des deux derniers congrès tentant d’affirmer une volonté d’autonomie, voire d’indépendance dans la définition d’une stratégie nationale pour le parti. Face à cela, ne doit-on pas d’abord acter que toute stratégie doit se fonder sur l’analyse d’un rapport de force et donc d’une analyse des forces en présence ? La réponse est dans la question: on ne se donne pas les moyens d’une telle réflexion sur l’état réel de nos forces. Et, à en rester dans cette situation, non seulement l’alliance est une alouette sans tête, mais encore plus grave, en méconnaissant nos faiblesses nous contribuons à l’affaiblissement de toute la gauche. Admettons qu’on ne peut prétendre par ces faiblesses mêmes à une stratégie indépendante, comme d’ailleurs aucune autres composantes politiques, syndicales et associatives par leurs propres limites (un des grands enseignements des syndicats issus de la lutte contre la réforme des retraites) qui l’on finalement compris (in-extremis ?) lors des dernières élections législatives de 2024. La construction d’alliances doit donc être l’ambition ultime, quelque soit l’identité communiste que nous portons. Rechercher de telles alliances repose sur des bases contemporaines par la reconnaissance de l’altérité pour permettre la reconnaissance des besoins sociaux et culturels comme fondement d’un modèle économique de développement pérenne.
L’alliance pour un contrat social et écologique : Interdépendance et solidarité de classe
« L’organisation” du capitalisme dans son mode d’accumulation mondialisé et monopoliste, nous met face à une dialectique d’interdépendance et d’encadrement des conflits géo-stratégiques. En effet, sans tomber dans le sophisme, la relation entre l’impérialisme chinois VS l’impérialisme US est construite par le vecteur du dollar encore largement dominant : le jeu de créances chinoises et des dettes US anime l’organisation centrale d’une interdépendance conflictuelle entre eux qui se répercute en conflits “régionaux” et satellitaires. De même, par déclinaison, cette notion d’interdépendance conflictuelle innerve tous nos rapports sociaux, viralisés par la division du travail et l’approfondissement d’une marchandisation accélérée de toutes les sphères de la vie sociale et culturelle.
Dans ce contexte, aucun individu ou organisation sur la planète ne peut aujourd’hui s’extraire par une stratégie “communiste” d’un tel système sans qu’elle puisse reposer sur une alliance relative, une alliance fondée sur des intérêts de classe élargis à l’ensemble des groupes sociaux qui expriment une volonté réciproque d’alliance sur une base progressiste, d’émancipation du modèle de conquête et d’asservissement impérialiste. L’enjeu est de créer des espaces politiques par les alliances les plus larges possibles dans la recherche d’une conquête du pouvoir.
Autrement dit, réapproprions-nous et clarifions l’expression “tout ce qui est humain et progressiste est nôtre”. Mais, dans la notion de “nôtre”, il ne s’agit pas d’affirmer une quelconque identité communiste, mais de travailler à un apport singulier, à une vision progressiste fondée sur les besoins sociaux et culturels contre le modèle d’accumulation extractiviste de la valeur. L’intelligence de la situation des besoins sociaux non-couverts ou laissés à l’abandon porte en elle-même la raison d’être singulière des communistes mais pas seulement. Cet engagement qui n’est plus à démontrer, n’est pas une question d’identité (qui sommes-nous) – et, donc de rétraction des possibilités d’alliance en cherchant des partenaires au plus identique à nous-mêmes, mais cet engagement doit se constituer en revanche comme le coeur d’une stratégie communiste ouverte sur le long terme. Serais-ce le privilège de la seule jeunesse, ou plutôt, celui de la « jeunesse du monde » comme le célébrait Paul Vaillant Couturier ?
Délimitation de l’alliance et rapport de classes
Dans des frontières par définition perméables, vue l’accélération des transformations sociales, l’objectif de la longue marche est de contribuer par nos forces militantes aux solidarités de classe, non par une forme d’ascendance, mais d’horizontalité avec l’ensemble des groupes dominés et racisés. Si le capitalisme suscite aujourd’hui plus encore un mouvement mondial de retour à l’identité, aux identités, jusqu’aux formes fascistes (laïque et religieux) que cela entraîne, l’idée de l’alliance repose sur la reconnaissance mutuelle des pairs entre dominé.es et volonté de transformation. Tout un programme mais dont l’essentiel se pratique d’ores et déjà “à la base” et que la conscience politique tarde à reconnaître justement en réduisant la centralité de l’idée de reconnaissance pour une question d’identité. Or cette reconnaissance est indispensable pour fonder la confiance, la sécurité des échanges et des alliances efficaces. Trop souvent, les représentants du Parti s’expriment dans le souci de “coller” à des revendications réactionnaires internes aux couches populaires précarisées sans ouvrir, dans le même temps – sans tomber dans le prosélytisme, sur la nature des contradictions liées à la crise du capitalisme. Cette insuffisante perspective du chantier de transformation, rend illisible la dynamique essentielle à promouvoir dans la définition des alliances de résistances et d’émancipation à construire. Mais, pour tisser des liens d’alliances solides, cela ne peut se faire qu’avec une vue stratégique la plus claire possible.
Du conflit de classe à l’heure du capitalisme tardif
Alors, quelles conséquences politiques retirer de ces postulats volontaires ? Comment situer une stratégie d’alliances avec une visibilité suffisante et nécessaires des contradictions capitalistes à dépasser ? Et sur quoi peut reposer la refondation de l’efficience sociale et écologique ? Comment, même très schématiquement, situer la liaison entre crise sociale et crise des rapports de production au sein du capitalisme tardif pour poser la question nécessaire des alliances. Sans bien sûr tomber dans le déterminisme de l’économisme vulgaire, cette question renvoie en survol à la relation entre deux paramètres macroéconomiques fondamentaux que sont : l’évolution de l’endettement mondial et celle de la productivité. Eclairer même rapidement l’articulation de ces deux paramètres permet de nous situer dans la perspective où nous devons intervenir. L’accumulation du capital repose sur ce paramètre essentiel de la productivité en permettant de soutenir le rythme de la rotation des actifs en tant que principal levier de l’amélioration du taux de profit. Or que nous dit le Fond Monétaire International dans un article récent (10 IV 24) au titre évocateur (Relancer la productivité est une priorité mondiale pour réveiller la croissance à moyen terme), “ la croissance mondiale va ralentir et s’établir à juste un peu plus de 3 % d’ici 2029 . Le taux de croissance mondial, net des variations conjoncturelles, ne cesse de ralentir depuis la crise financière mondiale de 2008–09. Sans intervention des pouvoirs publics et la mise à profit des nouvelles technologies, les taux de croissance plus soutenus risquent d’appartenir définitivement au passé. La croissance pourrait chuter d’environ 1 point au-dessous de son niveau moyen prépandémique (2000–19) d’ici la fin de la décennie… Un scénario d’affaiblissement durable de la croissance, conjugué à des taux d’intérêt élevés, pourrait compromettre la viabilité de la dette, restreignant la capacité des gouvernements à contrer les ralentissements économiques et investir dans des initiatives en faveur du bien-être social ou de l’environnement. De plus, l’anticipation d’une croissance faible pourrait décourager l’investissement dans le capital et les technologies, au point peut-être d’accentuer le ralentissement. Les vents très contraires de la fragmentation géoéconomique ainsi que les mesures commerciales et industrielles prises unilatéralement ne font qu’aggraver la situation”.
Ce ralentissement de la productivité (de la croissance) qu’on nomme la stagnation séculaire va de pair avec la montée de l’endettement mondial sur plusieurs décennies. Pour ne prendre que la dette publique mondiale (hors dettes privées), celle-ci a triplé depuis 1970 et doublé depuis 2010. Elle représente 93% du PIB mondial aujourd’hui et pourrait atteindre 100 000 milliards (dont 33 000 mds pour les Etats-Unis). Soit, entre 100 et 115% du PIB d’ici 2030. Ce couple infernal de la baisse de productivité et de l’augmentation de l’endettement des Nations est l’indicateur d’une sur-accumulation liée à baisse du taux de profit, y compris en Chine avec ses routes de la soie et l’exemple de sa crise récente de l’immobilier. Ce couple infernal va de pair avec la destruction, la déqualification et la dégradation des conditions de vie des peuples exploités dans le monde, génère les tensions, les foyers de guerre, sur fond d’endettement des états et d’appauvrissement et le déracinement de la classe des travailleurs statutaires, précaires et paysans partout dans le monde. Ce système déclare la guerre à nos conditions vitales, à notre biosphère !
Pour un contrat social et écologique à base nationale et européenne.
Que retenons-nous de ce profil très rapidement brossé pour orienter une réflexion stratégique ?
Que la croissance pour l’accumulation perd en efficacité. Aujourd’hui la compétitivité est grippée par l’inertie à la baisse de la productivité. Pourquoi ? Parce que l’économie est essentiellement détournée de la satisfaction des besoins sociaux, par l’accaparement des riches et leurs désirs somptuaires et par la logique rentière monopoliste.
Que l’idée même de décroissance qui tente une partie des progressistes porte en elle le négatif de la croissance en sélectionnant les besoins sociaux.
Pour refonder une base économique théorique, il faut reprendre la notion centrale de Développement. Bien qu’associée historiquement à des modélisations erronées dans les années 1970, qui ont conduit à l’isolement des pays socialistes de l’époque, parce que fixée trop exclusivement sur une idée autocentrée à base nationale et au mépris de l’agriculture. Reprendre l’idée centrale du développement correspond ici à l’idée d’une démocratie reposant sur un contrat social et écologique, seules bases économiques pérennes pour la création de richesses.
Dans l’espace stratégique des pays du Nord, la divergence fondamentale s’exprime entre l’ultra-libéralisme et les libertariens dans leur objectif de dérégulation des formations nationales et de réductions des droits sociaux et démocratiques d’une part, et, les forces progressistes pour la sécurisation du développement humain et de sa biosphère. Il importe donc de fonder une vision stratégique d’alliances larges autour de la centralité programmatique de sécurité sociale et écologique du développement. Entendons bien comment développer cette notion de sécurité sociale et écologique : il s’agit d’une sécurité globale, de l’accueil digne des migrants, de la réintroduction de la police de proximité, de la sécurité des communs des ressources naturelles, jusqu’à la santé et la retraite, mais aussi dans le sens historique du Conseil National de la Résistance, c’est à dire dans sa dimension planificatrice des investissements sociaux et écologiques de moyen et long termes. Au moment où la classe des travailleurs est si déboussolée et tentée par les recettes autoritaires et fascisantes, la notion de Sécurité doit être développée en véritable concept d’humanité et non rester à son emploi répressif et identitaire de nos adversaires.
Conclusion : que chaque communiste soit un maillon de la construction de cette alliance progressiste partout où il intervient.
il est indispensable de faire reposer notre stratégie sur la conception de long terme de dépassement du capitalisme par une vision et une pratique reposant sur l’idée de résistance. Dans l’histoire nationale de l’après seconde guerre mondiale, (elle-même issue des leçons de la Commune), c’est dans la résistance-même que se sont créés, dans le mouvement, les cadres de la reconstruction. De même, cette leçon historique a montré que devant la défaillance de la bourgeoisie et la perte de boussole au sein de la classe des travailleurs face au fascisme, c’est la conception d’alliances larges appuyées par une vision claire qui a permis de dépasser la crise et la guerre. N’ayons donc pas peur des alliances. Au contraire, que chaque communiste soit un maillon de la construction de cette alliance progressiste partout où il intervient. Cette vision claire des alliances doit être fondée sur cette plateforme, celle d’une sécurité sociale et écologique à base nationale et européenne dans un mouvement capable d’imposer une idée de développement digne fondée sur une économie dont les buts seront sociaux et écologiques. De nombreuses bases militantes et forces sociales existent déjà pour ce combat. Sans approfondissement de nos alliances, le repli politique serait mortel pour nos espoirs et ceux du peuple de gauche