Retrouver de la cohérence dans notre projet

 

Contribution de Pierre Laurent au débat de la conférence nationale

Nous avions besoin d’un grand débat national entre communistes après la séquence électorale européenne et législative de juin-juillet 2024. Le déni démocratique organisé par Emmanuel Macron pour parvenir à la nomination du gouvernement Barnier, en négociant le laisser-faire tacite du RN, en ont renforcé l’urgence. Ce débat appelle à mes yeux une réévaluation sérieuse de notre réflexion et de notre action et des décisions nouvelles pour retrouver une orientation politique cohérente.

Des changements sont nécessaires pour au moins trois raisons.

  • D’abord parce qu’il nous faut réévaluer les données de la situation. Elles changent sous l’effet de crises qui toutes s’aggravent: crise industrielle, crise financière de l’État, crise des services publics, urgences sociales majeures, crise climatique ignorée malgré les catastrophes à répétition, instabilité chronique de la situation politique, conséquences délétères de la dissolution, profondeur de la crise démocratique, violence croissante de la situation internationale tout un terreau d’insécurités qui pourraient appeler un fort redressement démocratique et social, mais peut aussi bien pourrir et ouvrir la voie du pouvoir au RN et à ses nouveaux alliés de droite.
  • Ensuite, parce que, malgré nos campagnes militantes, nos résultats électoraux sont mauvais. Pour la seconde fois consécutive, nous n’avons aucun.e déput.é européen, ce qui fera dix ans d’absence au Parlement européen, une absence préjudiciable à la construction de convergences progressistes si nécessaires en Europe face aux extrêmes-droites. Quant à l’Assemblée nationale, dans un contexte de victoire relative du Nouveau Front populaire, nous sommes les seuls à gauche à avoir affaibli notre représentation, ne gardant que huit députés du PCF au sein du groupe GDR.
  • Enfin, parce que depuis juin nous semblons avancer sans boussole. Un jour avec le NFP, un jour sans. Comme pour la NUPES, le débat n’a pas vraiment lieu pour stabiliser notre vision stratégique. Quant à notre projet communiste, il semble sans cesse écorné par des déclarations contradictoires, corrigées ou non selon les moments. L’instabilité semble nous aussi nous avoir gagnés.

Nous sommes face à un paradoxe dont nous devons absolument discuter : alors que de nombreux éléments de la situation devraient nous permettre, comme communistes, de jouer un rôle croissant, nous risquons au contraire une marginalisation durable. La situation, pleine de dangers, montre pourtant beaucoup de chemins possibles pour la percée d’idées anticapitalistes et communistes.

C’est vrai que ce ne sont pas des difficultés nouvelles mais notre bilan pour y faire face dans les dernières échéances ne s’améliore pas.

Pouvons-nous inverser la tendance dans la situation politique nouvelle que nous connaissons ? Ce serait absolument vital. La dissolution a ouvert une période d’instabilité que la nomination du gouvernement Barnier n’a pas refermé. Son issue n’est pas jouée, nos décisions peuvent peser dans un sens ou dans l’autre et nous savons désormais que le calendrier politique peut se précipiter à tout moment.

Il y a donc beaucoup à débattre pour savoir comment agir utilement. Je ne veux évoquer ici que quatre idées qui me paraissent devoir être débattues. Je n’ai pas la place de faire ici une analyse, je veux seulement pointer des questions qui, faute d’être approfondies, nous entravent à agir et à pousser dans la bonne direction.

Premièrement, je crois que nous avons besoin d’une réévaluation de l’état idéologique de la société française, des contradictions et des potentiels qui la traversent. J’ai l’impression que beaucoup de nos prises de position réagissent à une lecture faussée de la société française, sans contradictions, comme si elle était tout acquise, en tout cas très majoritairement aux idées d’extrême-droite, où à la rhétorique de l’ordre telle que la porte le nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Il est bien évident que ces idées ont progressé dans la société sous l’effet de grandes frustrations populaires et d’intenses batailles idéologiques menées à coup de recompositions politiques et médiatiques, sous l’effet aussi des dérives d’une partie de la droite, du macronisme et du grand capital, comme souvent en temps de grave crise capitaliste. Mais persistent aussi de très fortes résistances, un attachement fort à des grandes conquêtes sociales, aux valeurs d’égalité, de justice et de liberté. Sinon comment expliquer le résultat inattendu des législatives ? L’Humanité magazine a utilement ouvert le débat avec son dossier : « La France n’est pas de droite ». Les contradictions sont en fait partout, et dans tous les territoires, que nous devrions d’ailleurs cesser de classer schématiquement pour davantage identifier ce qui permettrait de faire converger les aspirations populaires des travailleurs où qu’ils vivent. N’est-ce pas l’un de nos fondamentaux ? Et ce serait plus sûrement utile à notre analyse que d’entretenir l’idée qu’il y a deux lignes possibles, l’une bonne pour les banlieues, l’une pour les zones rurales, et qu’il faudrait en quelque sorte choisir entre l’une et l’autre. Comment aussi ne pas voir par exemple l’immense contradiction qu’il y a entre l’image sans cesse renvoyée par les médias de ce que penseraient les Français et la foule d’une jeunesse très loin de nos rangs qui envahit la Fête de l’Humanité et ses débats politiques ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à transformer politiquement l’énergie solidaire et anticapitaliste d’une grande partie de la jeunesse française ?

Une vision plus ajustée des contradictions de la société française aurait à mes yeux une double conséquence sur notre manière de combattre le Rassemblement national. L’une consisterait à beaucoup mieux nous appuyer sur la mobilisation possible des forces de résistance à la montée des extrêmes droites (dans la jeunesse, les forces sociales et syndicales organisées, le monde intellectuel et culturel, les élus locaux et les réseaux associatifs solidaires en milieu rural comme en banlieue populaire) alors que notre discours national semble se désintéresser de ces forces. J’ai l’impression que nous vivons en quelque sorte à côté d’immenses forces disponibles sans entrer véritablement en dialogue avec elles. L’autre axe de bataille consisterait à combattre avec beaucoup plus de vigueur les thèmes idéologiques qui façonnent le ralliement ou l’adhésion aux solutions d’extrême- droite au profit de solutions sociales et solidaires. Car la bataille engagée entre les forces progressistes et les forces de droite et d’extrême-droite sur l’issue à la crise actuelle se mènent maintenant sur les causes et sur les solutions. Depuis 2005 et la victoire volée du non au TCE, le peuple français cherche une issue antilibérale à ses souffrances. Les colères populaires peuvent nourrir deux projets opposés, l’un démocratique et social, l’autre autoritaire et anisolidaire, comme on le constate un peu partout dans le monde. S’affublant du masque de la respectabilité, les forces d’extrême-droite travaillent l’adhésion à leur projet. Nous devons batailler sur nos solutions, en identifiant les vraies responsabilités, et non chercher à singer les leurs en croyant faussement les concurrencer. Le livre d ‘Alain Hayot « Les nouveaux monstres » apporte ici d’importants éclairages pour nourrir notre approche et le débat.

Le second point que je veux évoquer porte précisément sur nos solutions. Le projet communiste a de la force quand il est à la fois une perspective, un sens pour la société, une direction à prendre, et un objet concret de batailles immédiates. A part devant les congrès, nous n’en parlons jamais. Le communisme n’est pas un lointain idéal, il est un chemin d’actions dans lequel le mouvement populaire joue à nos yeux un rôle de premier plan pour porter et inventer les idées d’une société nouvelle plus juste et plus solidaire. Cet ancrage revendiqué de notre projet communiste dans les enjeux concrets d’aujourd’hui est doublement important. Parce que le mot « communisme » porte encore les oripeaux de régimes qui lui ont tourné le dos et parce qu’en conséquence seule l’identification de notre projet communiste a des solutions crédibles et concrètes dans le monde d’aujourd’hui lui donne sa vraie valeur. Les occasions de le faire sont nombreuses dans la crise actuelle de ce capitalisme mondialisé. Quand nous refusons la vente du Doliprane à un fonds de pension américain et que nous demandons la nationalisation de Sanofi, nous pouvons là pousser un débat national sur la nécessité de rendre à notre peuple la maîtrise d’un bien commun indispensable à la santé de tous, la production de médicaments, dont les pénuries sont aujourd’hui le pendant d’une mondialisation financière avide de profits et dépourvue d’humanité. Quand la jeunesse s’empare des enjeux climatiques et écologiques, elle est au cœur de grands défis anticapitalistes, et notre place est avec eux pour porter le débat de solutions pour toute la société. Quand la crise du travail, de son sens, de ses finalités est à ce point présente dans tous les secteurs de la société, agriculteurs, ouvriers, ingénieurs, agents des services publics, et quand tant de gens aspirent et cherchent à réinventer leur travail en se libérant des contraintes de la rentabilité, notre place est au cœur de ces combats. Là encore, contrairement à l’image sans cesse renvoyée vers ses peurs et ses angoisses de la société française, « le communisme qui vient », comme l’appellent Bernard Friot et Bernard Vasseur, ce mouvement concret vers d’autres formes d’organisation de la société, devrait nous intéresser au premier chef. Nous revendiquons notre communisme. C’est utile si nous le faisons vivre au quotidien. C’est mortifère si nous le traînons comme un drapeau du passé. Conçu comme un projet politique, c’est-à-dire à la fois des objectifs de société et les moyens crédibles de les atteindre, cela ne nous éloigne pas du quotidien de nos concitoyens mais nous y ramène dans ce monde où le fondement des logiques du système est sans cesse questionné. Travailler à l’identification des grands combats prioritaires qui permettrait de faire des percées dans ce sens reste donc une grande tâche d’actualité pour les communistes.

La question de l’unité est évidemment la troisième des questions qu’il convient de débattre. Constatons d’abord qu’elle s’est par deux fois imposée à nous, comme d’ailleurs aux autres forces de gauche, devant les urgences politiques et sous la pression populaire de l’électorat. La NUPES d’abord, le NFP ensuite, avec un changement notable et prometteur dans le second cas, l’implication nouvelle de forces sociales et citoyennes face au danger du RN. Je crois que les communistes doivent cette fois s’emparer sérieusement du débat et ne pas laisser tourner les pages en spectateurs. La question à mes yeux est celle-ci : il ne s’agit pas seulement de dire « l’unité s’impose car sinon aucune victoire à gauche , ni d’ailleurs aucun redressement du PCF, n’est possible » ? C’est vrai mais c’est insuffisant car cela reviendrait à dire qu’elle s’impose encore à nous et que les conditions de cette unité et de sa réussite ne sont pas discutables. Or nous savons que cette unité est complexe et qu’elle rassemble des forces diverses. Cela reviendrait aussi à accepter pour toujours la portion congrue qui nous a été réservée par nos alliés dans cette union. Or l’union est nécessaire mais elle reste un combat.

Il faut donc débattre de savoir : est-il possible de faire grandir le NFP en le rendant possiblement victorieux ? Je crois que c’est possible car comme je l’ai dit l’issue de la crise politique actuelle n’est pas écrite. Une alliance des quatre grandes formations de la gauche et forte d’un engagement social et citoyen massif garde des chances de l’emporter. Des conditions sont à réunir pour cela, qui demanderont des batailles de terrain et du débat avec les forces populaires du pays. J’en cite trois pour ma part : tout en veillant à ce que l’accord programmatique qui scellerait cette union reste significativement orienté dans la bonne direction, nous devons avoir conscience que la vraie garantie de la victoire et de l’application d’un programme est la vigueur du soutien populaire dont il bénéficie. C’est donc aux batailles populaires pour ancrer les objectifs à atteindre dans les consciences qu’il convient de s’atteler. On le voit avec les retraites, devenue incontournable. De même le meilleur allié d’un programme féministe réside dans le niveau des mobilisations actuelles. Se concentrer donc sur l’appropriation populaire des grands objectifs pour changer vraiment la vie est donc plus important que d’entretenir la polémique médiatique avec nos partenaires, dont les média proches du pouvoir aiment d’ailleurs se repaître. Deuxièmement, dans les conditions de la bataille réelle actuelle, l’unité sera forcément plurielle et donc faite de contradictions. Nous avons des différences de programme, de culture, de pratiques avec nos alliés. Les différends ne seront pas tous résolus. L’unité doit accepter et assumer cette pluralité en la pratiquant dans le respect et non l’invective. Et nous ne devons jamais renoncer à alimenter ce débat avec nos propres convictions.

C’est en tout cas la conception que devraient défendre et faire vivre les communistes en s’appuyant sur l’aspiration des citoyens à ce qu’il en soit ainsi. Cette pluralité doit aussi faire sa place à tous ces citoyens engagés et non partisans qui sont de plus en plus nombreux à gauche. En cas d’accession de la gauche au pouvoir, le Parlement, la délibération publique, l’intervention citoyenne et les mobilisations sociales et populaires seront les arbitres de ces débats. Notre conception de l’unité doit revaloriser la place de cette effervescence démocratique, autrement dit du mouvement populaire. Cela suppose une autre condition : ne pas considérer l’élection présidentielle comme la mère des batailles, mais décliner de façon adaptée la construction unitaire dans toutes les échéances, municipales, départementales, régionales, législatives et présidentielle, en tenant compte des modes de scrutin et des rapports de force locaux. Il convient de tenir la revalorisation de la place et des moyens des collectivités locales et d’un Parlement démocratisé, et la déprésidentialisation du régime un axe majeur du projet commun. Pour ce qui est de la préparation des échéances locales et législatives, nous devrions plaider une autre méthode que la méthode descendante en alliant discussions nationales et part d’autonomie et de négociations laissée aux acteurs locaux, par exemple à l’échelon départemental. Les communistes pour leur part sont en droit de revendiquer une meilleure place au Parlement.

La quatrième question à débattre que je veux évoquer ici d’un mot sans pouvoir la développer, il y a tant à dire, concerne les questions internationales. Il est évident qu’elles structurent aujourd’hui une part importante du débat politique national. Il faudrait les détailler, ce que je ne peux faire ici. Je crois que nous ne sommes pas du tout au niveau des évolutions rapides de la situation internationale, ni de nos responsabilités internationalistes. La Fête de l’Humanité a pourtant montré l’écho formidable que pouvaient rencontrer des positions combatives, sur la paix, sur la Palestine ou avec la présence d’Angela Davis. Je pense que la conférence nationale devrait décider d’un temps de débat spécifique des communistes sur ces enjeux majeurs en vue d’une remobilisation internationale du Parti. D’autant que les évolutions des guerres au Proche-Orient et en Ukraine, et l’issue de l’élection américaine, mais aussi tout ce que recouvre de manière schématique l’affirmation d’un « Sud global » vont encore accélérer les changements en cours.

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