Contribution de Jean-Louis Le Moing, section du Blésois, fédération du Loir -et -Cher
Avant-propos : Ce texte est assez largement ressemblant à celui que j’avais rédigé avant notre dernier congrès. Mais je préfère me répéter que me contredire et, surtout, je suis intimement convaincu que notre parti doit engager un nouvel effort de novation politique, et que cet effort devient pour lui vital. C’est pourquoi je pense que le débat ouvert par la préparation de la conférence nationale doit dépasser son ordre du jour, sans toutefois lui tourner le dos. Il convient selon moi d’engager un intense effort théorique pour redéfinir ce qu’est le communisme dans le monde d’aujourd’hui et d’examiner à la lumière de ce nouveau projet notre fonction et notre place, en France, dans une situation politique inédite qui peut évoluer très vite.
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Une véritable guerre d’idées vise à « naturaliser » le capitalisme, pour le rendre indépassable aux yeux même de ses victimes. Ainsi, ce système qui charrie tant de souffrances, d’inégalités, de violences, se trouverait acquitté – fusse au bénéfice du doute. Il faudrait se rendre à la raison et s’en accommoder.
Déverrouiller ce postulat est une bataille incontournable.
Au cœur de cette exigence réside, pour moi, l’actualité du communisme. C’est pourquoi je pense que nous devons placer cette question au centre de la réflexion des communistes pour préparer notre conférence nationale.
Urgence d’une alternative
Aucun projet alternatif crédible ne semble émerger réellement, alors que le libéralisme le plus débridé malmène les peuples et notre planète. Parfois mis en accusation, le système capitaliste rencontre certes des résistances mais, faute de réelle alternative, s’impose trop souvent comme une loi naturelle. C’est dans cette béance que s’engagent avec détermination les projets les plus rétrogrades et que soufflent les vents populistes les plus dangereux en France, sur notre continent et dans le monde.
En effet cette « dépression idéologique », cette impalpabilité d’une nouvelle espérance provoquent divisions, replis, dépolitisation.
La colère et la recherche du bouc-émissaire font malheureusement souvent bon ménage dans les consciences. Des consciences rudement chahutées ces dernières décennies par les effets des offensives néo-libérales, l’écroulement de tout modèle alternatif, et par les renoncements de la sociale démocratie à s’opposer ou à freiner l’essor d’un capitalisme financiarisé, mondialisé et militarisé comme jamais.
Ou en sommes-nous ?
Le communisme a longtemps incarné cet espoir qui fait que les humains se lèvent. Il a su mobiliser quantité d’énergies et d’intelligences.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Il y a du respect pour nous. Nous savons provoquer parfois l’intérêt. L’utilité et la portée émancipatrice de nos valeurs et de notre action sont souvent reconnues.
Mais nous rencontrons des difficultés pour définir avec notre peuple les contours et les voies d’une espérance de notre temps. L”idéal communiste semble « has-been », appartenir à l’histoire – souvent même dans ses terribles secousses…
L’espoir d’une société et d’un monde de libre développement peut-il de nouveau claquer, résonner, entraîner ? Quelle est l’identité – nécessairement refondée – de ce projet, de cette visée dans ce monde capitaliste ? Quelles nouvelles logiques substituer à « cette force qui va », avec comme seul moteur la recherche aveugle du profit et la concurrence ? Le communisme est-il capable de s’imposer comme porteur d’un nouveau projet d’émancipation ?
Pour répondre à ces questions, nous ne sommes évidemment pas des voyageurs sans bagages, nous disposons même d’un corpus idéologique conséquent… Mais sachons aussi mesurer lucidement l’ouvrage de conceptualisation et surtout le niveau de la bataille idéologique qui restent devant nous pour ouvrir un nouveau chemin avec notre peuple.
Un manifeste pour un avenir qui commence maintenant
Notre apport, notre valeur ajoutée ne peuvent se limiter à décrire un monde idéal et sans contradictions, mais doivent contribuer à installer, dans la réalité et dans les consciences une conception nouvelle de la vie en commun en France et sur notre planète.
Nous avons besoin d’un projet utile pour résister et pour rêver. Un projet apte à nourrir les résistances locales et une visée émancipatrice globale. Pas une addition de propositions, mais un projet porteur de sens, d’une ambition moderne et universelle. Un manifeste pour l’avenir qui, partant des contradictions actuelles du système, indique le sens de réformes à accomplir pour les années et décennies à venir. Une matrice idéologique attractive, forte, cohérente, porteuse de valeurs, de repères, permettant à la riposte de grandir, génératrice de rassemblements majoritaires. (Majoritaires : car il est illusoire de penser les transformations nécessaires hors de leur pleine maîtrise par les gens eux-mêmes. La voie démocratique n’est pas une concession, mais une condition du dépassement de capitalisme. Il n’est pas de voie royale, pas de raccourci. L’histoire du « socialisme réel » nous enseigne que les moyens imprègnent toujours les fins.)
Le communisme est une visée d’une haute ambition pour l’Humanité, c’est un projet universaliste et c’est tout autant un chemin à emprunter sans tarder, même s’il est escarpé. En 1960, Aragon nous le disait dans Épilogue, un poème magnifique : Songez qu’on n’arrête jamais de se battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien.
Et que tout est remis en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable…
Le communisme n’est donc pas un état proclamé, mais un chemin vers une nouvelle Humanité faite d’Hommes libres, égaux, responsables et solidaires.
Avancer dans cette voie renvoie à la nécessité de dépasser cette société actuelle qui foule aux pieds ces valeurs, qui doit diviser pour mieux régner, qui se légitimise en exacerbant la concurrence entre les Hommes et les peuples, qui est myope car uniquement centrée sur l’immédiateté et qui porte atteinte à l’existence même de la vie humaine sur notre planète. A l’ordre du jour et urgemment, il y a donc la question d’une nouvelle espérance.
Pas de prêt à porter révolutionnaire
La tâche est certes ardue. D’autant que le « prêt à porter révolutionnaire » n’est plus de mise. Des cadres naguère reconnus comme crédibles se sont transformés et le monde a profondément changé. C’est au stade actuel du développement capitaliste que l’idéal communisme doit se confronter.
Parmi ces défis :
1. La révolution numérique, avec la percée de l’intelligence artificielle, constituent d’immenses potentialités, mais ces phénomènes portent aussi en germe des exigences nouvelles que le capitalisme ignore et détourne. Je crois nécessaire de traiter de front cette question devenue centrale dans le développement des forces productive, la vie en société et le développement des individus.
2. Les défis formidablement urgents de la durabilité de la planète posent en termes inédits les questions du dépassement de ce système capitaliste mondialisé.
3. Nous sommes vus comme des collectivistes. Or, le transfert de la propriété vers l’Etat n’est pas la condition suffisante au dépassement des aliénations. Il faut pour y parvenir engager un processus d’exercice des pouvoirs par les citoyens-producteurs-consommateurs.
4. La nation demeure un lieu essentiel de la formation des rapports de force, de l’affrontement, et donc une matrice des transformations à opérer. En même temps, la problématique européenne imprègne toutes les questions de l’avenir de notre pays, et le développement d’un nouvel internationalisme est une condition de la maîtrise par les peuples de de leur destin.
5. La question de la qualité de l’emploi, de l’intérêt au travail est en pleine émergence. N’en restons pas à la question des rémunérations, certes centrale aujourd’hui. Ne tardons pas à porter cette exigence de dignité, d’utilité sociale, de formation. De sens aussi, exigé par 80 pour cent des 26-34 ans (chiffre extrait du questionnaire première vague avec 60 000 participant-e-s, Radio France Arte).
Une nouvelle espérance
Notre expérience, notre force militante, notre patrimoine idéologique et historique nous placent au centre des forces disponibles pour avancer sur cette responsabilité. Mais nous ne sommes pas non plus le sel de la terre et nous avons besoin de nous appuyer sur les travaux multidisciplinaires, les théories, les recherches diverses qui n’émanent pas toujours du parti. Il est de la responsabilité de la direction nationale du Parti et du premier de nos responsables de favoriser ce mouvement d’ouverture intellectuelle. Il ne s’agit en rien de se confondre ou de s’assimiler, mais de puiser dans la fécondité actuelle de la pensée alternative mondiale. Cet effort ne peut être momentané. Il faut élaborer des principes de travail afin de nourrir le débat des communistes de cet effort théorique et l’enraciner dans le combat politique actuel. Ce travail favorisera la politisation de notre parti et donnera, j’en suis certain, du nerf à sa vie démocratique et sa capacité d’action et à son organisation.
Dans le feu d’une situation inédite
Nous avons à produire cet immense effort dans le feu d’une situation nouvelle, et dans une nouvelle configuration politique. L’électorat de gauche s’est « recomposé ». Et cette recomposition n’est pas achevée… Pas plus que le danger RN ne me semble jugulé compte tenu de l’habileté manœuvrière de Marine Le Pen, des choix de la droite et des Macronistes et des vents mauvais qui soufflent sur notre monde.
Nous avons certes subi à la présidentielle le vote utile. Mais soyons lucides, nous n’avons pas non plus percé dans deux autres campagnes à la proportionnelle. Campagnes dans lesquelles les candidats du parti attiraient plutôt l’attention.
Et nos problèmes ne datent pas d’aujourd’hui.
MG Buffet, en 2007, avait conduit une vaillante campagne mais avait obtenu un faible et décevant résultat. Il n’y avait pourtant pas alors une concurrence avec un candidat que nous aurions soutenu par deux fois. Le vote utile pesait certes déjà, s’effectuant comme depuis les années 80 à l’avantage du PS. (N’omettons d’ailleurs pas le score du NPA dès 2002 que nous n’avons à ma connaissance jamais analysée et qui a aussi à voir avec des déplacements d’intérêt de notre électorat potentiel.)
Pour moi notre force de gravitation, notre influence depuis plusieurs décennies, ont directement à voir avec notre utilité, à notre plus-value. C’est bien pourquoi nous devons mettre à l’ordre du jour une espérance qui replace l’Homme et sa planète au centre. C’est ainsi que le vote communiste retrouvera, je le souhaite, sa signification et sa force.
La question cardinale du rassemblement à gauche
Mesurons bien que le développement et l’influence du Parti sont étroitement liés à notre volonté de rassembler les forces de progrès. Le rassemblement doit devenir un marqueur de notre Parti,
Préparons, au sein du NPF la désignation d’une candidature commune à une élection présidentielle qui peut surgir sans prévenir. Toute autre situation ferait peser une lourde hypothèque sur l’avenir de notre pays et serait condamnée par le peuple de gauche, y compris par l’électorat communiste potentiel. Le PS et Les Verts portent déjà ce projet. Qu’attendons-nous pour être les meilleurs défenseurs d’une candidature commune qui ne soit pas celle de Mélenchon, car incarnant véritablement le NPF dans son programme et sa pluralité. Na faut-il pas poursuivre le travail engagé avec Lucie Castet ?
Il y a maintenant urgence. Car le piège d’une candidature déclarée unilatéralement par LFI va se matérialiser. Une telle décision viendrait-elle alors légitimer, par contre-coup, une candidature communiste et sans doute d’autres candidatures à gauche ?
La situation est trop périlleuse, notamment avec le danger d’extrême-droite pour tergiverser et effectuer de mauvais calculs. C’est maintenant qu’il faut faire bouger les lignes à gauche sur cette question. Nous risquons de décevoir si nous ne le faisons pas, et, le faisant nous renouerons avec les belles pages de notre histoire.
Aucun effacement
Aucun effacement donc, mais au contraire un nouveau déploiement de la pensée et de l’action communiste sur le projet révolutionnaire et l’action unitaire. Nous ne devons plus séparer ces questions mais les considérer comme les deux faces d’une même pièce. C’est à cette condition que notre formation ouvrira, je l’espère et je souhaite y contribuer, une page nouvelle de son propre avenir.
Ce n’est pas la foi du charbonnier ou la nostalgie qui doivent aujourd’hui nous faire agir et vouloir continuer le PCF, mais la conviction que le communisme est un projet d’actualité et d’avenir.
Nous ne bénéficions pas (plus ?) d’une rente de situation. Aucune place ne nous sera donnée autre que celle que nous prendrons. J’ai conscience de la difficulté de la tâche, mais nous ne pouvons plus contourner cette rude et exaltante obligation.
Voilà, à mon sens, les principaux défis que nous devons nous lancer à nous-mêmes et à la société pour donner à l’idéal communiste la force d’une nouvelle espérance populaire.
Blois le 09 octobre 2024