Contribution de Jean Malik LEMAIRE, section de Perpignan, fédération des Pyrénées Orientales
Le 38ème et, dans son prolongement, le 39ème congrès ont eu pour objectif de réorienter la stratégie du parti en vue de remédier à ce qui fut considéré comme son effacement. Pour ce faire nous avons décidé de présenter des candidats communistes à toutes les élections. On doit s’interroger aujourd’hui sur la pertinence de cette décision au regard des résultats obtenus depuis. Nous avons, en effet, disparu du Parlement européen, notre présence à l’Assemblée nationale a été amputé d’un quart de ses forces, pendant que dans le même temps le nombre de nos adhérents a diminué continument. Il nous faut donc réviser nos analyses et chercher ailleurs les causes de nos difficultés ainsi que leurs remèdes.
La situation est grave. Nous ne devons pas nous laisser illusionner par le fait que notre secrétaire national a acquis une reconnaissance médiatique. Le fait que celle-ci ne se retrouve pas dans les urnes doit nous interroger. Notre déclin ne date pas d’hier. Pour l’analyser il nous faut prendre en compte le mouvement de l’histoire. La chute de l’URSS et des régimes qualifiés de socialistes a eu des conséquences dont nous n’avons pas fini de mesurer l’ampleur. Ils avaient longtemps constitué pour nous et pour le mouvement révolutionnaire international, une référence, même si nous ne nous privions pas de nous en démarquer voire de les critiquer. Leur disparition a créé un vide politique et idéologique considérable. Le capitalisme triomphait : on annonça la fin de l’histoire, et la lutte des classes fut remplacée par le choc des civilisations. Margaret Thatcher résume la situation en proclamant qu’il n’y pas d’alternative. Si nous sommes entrés dans une période de crises multiformes, expression des contradictions d’un capitalisme mondialisé, crises politique, économique, écologique, etc., il en est une dans laquelle toutes se reflètent, c’est celle que j’appellerais crise d’alternative ou crise d’avenir. Dans le vide ainsi créé se sont, en effet, installés de la désespérance, du fatalisme, une perte de la conscience de classe, mais aussi une droitisation, voire une fascisation des esprits. A l’islamisme dans les pays de tradition musulmane correspond la montée des extrêmes droites dans notre pays, en Europe, aux Etats-Unis et un peu partout dans le monde. Cette évolution funeste est à mettre en rapport avec le déclin des forces révolutionnaires telles qu’elles s’étaient développées durant le siècle dernier.
Ceci devrait nous conduire à approfondir notre réflexion sur nos difficultés et à nous interroger sur le contenu de ce que nous portons pour répondre à cette crise d’alternative. Nous ne pouvons pas nous contenter de nous battre pour l’emploi, les salaires, la taxation des riches, la défense des services publics, conçus comme étant le patrimoine de ceux qui n’en ont pas, pour un meilleur partage des richesses, pour de nouveaux droits dans les entreprises. Toutes ces mesures ont pour but de protéger les travailleurs, la population, contre les méfaits du capitalisme, mais non de remettre en question son existence. C’est ce que Fabien Roussel exprimait en indiquant qu’il n’était pas « pour couper la tête du capital » mais « pour le contraindre à travailler au service du pays ». Avec un tel objectif sommes-nous à la hauteur de ce que la situation exige aujourd’hui de nous ? Dans de tels combats, nous restons sur un terrain proche de celui des syndicats, d’associations et d’autres partis de gauche comme la FI, qui a siphonné notre programme (jusqu’à son titre : La France en commun devenant L’avenir en commun) ainsi que notre électorat. Le fait est qu’entre la FI et le PS nous n’avons pas d’espace politique. Il nous faut reconquérir, notre place de parti révolutionnaire. C’est la condition non seulement de notre redressement mais surtout de l’avènement d’une alternative réelle au capitalisme. Après ce que certains appellent par ignorance ou par malveillance « la mort du communisme », si nous ne sommes pas capables de faire vivre la vérité du communisme, c’est nous qui mourrons. Car, si ces régimes dont il est question sont bien morts, c’est justement parce qu’ils n’étaient pas communistes. En analysant les choses ainsi, il n’agit pas de nous autoflageller. Il nous faut, au contraire, partir résolument à la conquête d’une hégémonie culturelle en faisant vivre en image et en acte le communisme comme alternative heureuse aux maux et aux perspectives de ce siècle, qui s’annoncent catastrophiques pour la planète et pour l’humanité.
Cela suppose un énorme travail de rénovation politique de notre part. Il nous faut sortir d’une démarche qui instaure des étapes dans la transition hors du capitalisme. Ses crises sont telles aujourd’hui qu’elles posent, comme nous le disons dans la résolution de notre congrès, « un besoin de communisme ». Avec la primauté que nous donnons à la démarche électorale sur la base d’un programme élaboré en haut, nous sommes loin du communisme tel que Marx en posait le principe dans le préambule des statuts de la Première Internationale, en déclarant que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. S’il ne faut pas ignorer les élections, s’il faut y prendre part, y compris dans l’union avec les autres partis de gauche, il ne faut cependant pas leur accorder une importance première dans notre combat. Elles sont en effet de nature délégataire. L’essentiel pour nous doit être dans la mise en mouvement des hommes et des femmes qui subissent la domination du capitalisme. Ce qui suppose une présence sur le terrain, notamment dans les luttes, et une bataille d’idées comme jamais nous n’avons menée pour faire naître et grandir un désir de communisme. Malgré les reculs sociaux et le marasme qui règne, ne nous arrêtons pas sur les seuls aspects négatifs de la situation. Celle-ci est plus complexe qu’on pourrait le croire, et recèle en même temps des potentialités énormes. Le rejet du capitalisme, la conscience de ses dangers ont progressé, notamment dans la jeunesse. Des aspirations à travailler autrement montent, des actions, des luttes sont menées dans les entreprises mais aussi dans le domaine de l’écologie, du féminisme, de l’antiracisme, qui mettent en question les dominations et sont en totale résonnance avec le combat communiste.
Il nous faut donc apprendre à articuler de manière dialectique une double démarche politique. D’une part, une stratégie d’union avec les autres forces de la gauche et de l’écologie, qui prend la forme aujourd’hui du Nouveau Front Populaire, qu’il nous faut absolument préserver et développer, car il est indispensable pour empêcher l’extrême droite de prendre le pouvoir et pour créer, en cas de victoire, des conditions plus favorables aux mouvements sociaux. D’autre part, il nous faut agir pour promouvoir le communisme, c’est-à-dire mener une intense bataille d’idées dans les luttes, auprès de nos partenaires et dans les médias, sur des propositions qui prolongent les conquis communistes de la Libération. Nous devrions avoir, à ce sujet, un vrai débat sur les travaux de Bernard Friot et notamment sur l’ouvrage qu’il vient de cosigner avec Bernard Vasseur, intitulé Le communisme qui vient. Celui-ci invite à nous interroger sur une série de préjugés entretenus par l’idéologie dominante et avance des propositions qui méritent notre attention comme, par exemple, celle d’une extension de la citoyenneté à la sphère économique, d’une conquête de la souveraineté des travailleurs sur leur travail, du remplacement de l’avance en capital par un système de subventions socialisées, de l’attribution à toutes et tous d’un statut salarial et d’un salaire à vie attaché à la personne, conçu comme un droit politique dès la majorité. Discutons-en. Elles ont le mérite de dessiner un imaginaire de vie en commun, qui correspond à des aspirations profondes et qui peut susciter un regain de motivation, d’espérance et d’engagement.
Notre but est d’être utiles et d’être reconnus comme tels par des propositions qui vont au-delà des visions actuelles de la gauche. C’est ainsi que nous pourrons reconquérir notre place dans le paysage politique et faire vivre avec les gens eux-mêmes une véritable alternative à ce système qui nous opprime. C’est ainsi également que nous pourrons vaincre l’extrême droite dans sa prétention à se présenter comme une alternative antisystème. C’est ainsi enfin que nous pourrons avancer dans la transformation effective de la société, qui constitue la raison d’être de notre parti. Pour y parvenir, il nous faut déployer entre nous un énorme travail d’analyse et de construction politique que nous ne pourrons mener à bien que dans un débat sans tabou, argumenté et fraternel.