Hugo Pompougnac dans Regards (2e trimestre 2022) :
Les partis communistes sont nés d’une exigence simple : face à la crise générale de l’impérialisme qui a présidé à la Première Guerre Mondiale, il fut nécessaire de grouper celles et ceux qui se proposaient de la résoudre dans le sens de la révolution sociale. Les partis socialistes européens de l’époque s’étant ralliés à la propagande chauvine de leurs gouvernements respectifs, il fallut, comme l’expliquait Lénine, « enfiler une chemise propre » – celle du communisme.
Ces débats semblent loin de nous. Pourtant, le capitalisme international traverse à nouveau une crise majeure, dont les paramètres fondamentaux sont climatiques, sanitaires, financiers, commerciaux – et donc aussi politiques et géopolitiques. Dans la tempête, des vents contradictoires soufflent sur le monde, de la grève générale en Inde à l’offensive contre le droit à l’IVG aux USA.
En France, la crise atteint son point culminant avec les élections législatives. Les institutions financières accélérant la marche forcée pour se partager le gâteau de la sécurité sociale et de la fonction publique, Macron, qui est leur fondé de pouvoir, ne parvient plus à recueillir le consentement de l’opinion publique. Dès lors, le contrôle des institutions lui échappe : le principe plébiscitaire de l’État est atteint en son cœur. Comme tous les régimes privés d’une base sociale suffisamment large et solide, la Ve République tombera bientôt ; on ne sait ni quand exactement, ni comment, mais l’issue est inévitable. Une course contre la montre est donc lancée entre les deux approches en lice pour résoudre la crise :
1- Celle que propose le RN, et qui consiste à “lisser” les effets de la crise sur les Français en écrasant les étrangers (ou présumés tels). C’est le sens de la “préférence nationale” qui forme le cœur de sa doctrine. Cette stratégie économique s’accompagne des mesures de restriction démocratique nécessaires pour mater ceux qu’elle cible : elle suppose de fortifier l’état policier, et de déployer une propagande ethnique permanente.
2- Celle que propose la gauche rassemblée (la NUPES), et qui consiste à déraciner le pouvoir de la finance dans notre pays. Cela suppose de généraliser la démocratie, et non de la restreindre : le suffrage universel doit se substituer aux directives du CAC 40. À peine réalisées ces mesures démocratiques, se poseront des questions directement collectivistes : il sera impossible de priver Total (par exemple) de son pouvoir abusif sans porter atteinte à son actionnariat, sans faire de l’énergie un bien commun. C’est pourquoi nous mettons l’accent sur la convergence économique et sociale entre les différentes fractions du peuple (salariés et indépendants, ruralité et banlieues…), et sur la dissipation des polémiques identitaires : on peut coexister sans difficulté quel que soit le plat que l’on met dans l’assiette le dimanche midi, ou le maillot de bain que l’on porte à la piscine.
Ces deux approches étant les seules possibles, tout homme politique, toute institution, tout éditorialiste est voué à graviter autour de l’une d’entre elles. C’est la raison de la dérive policière et identitaire du gouvernement : ne pouvant s’opposer aux capitalistes, il vient graduellement sur la ligne de l’extrême-droite.
Le choc étant pour bientôt, l’heure est aux préparatifs pratiques. Comment faire pour que le prochain mouvement de type Gilets Jaunes ou Black Lives Matter recueille un soutien actif dans la population ? Quelle revendication mettre en avant, à ce moment-là, pour faire tomber le pouvoir (dissolution, constituante, RIC…) ? Comment faire échouer les tentatives cyniques du gouvernement pour rallier telle ou telle catégorie de la population (comme ils le font sur le droit à l’avortement, alors même qu’ils ferment les centres IVG les uns après les autres) ?
Et par conséquent : comment réduire à l’impuissance les tentatives de conciliation séparée avec la bourgeoisie ? L’opportunisme a toujours été le fossoyeur des luttes révolutionnaires d’ampleur. Il faut montrer inlassablement que, dans la crise, toute attitude œuvrant à séparer le mouvement (sur des critères nationaux, géographiques… ou politico-partisans) constitue un renfort pour Macron, et donc aussi pour son héritière revendiquée à la tête du capitalisme français, Marine Le Pen. En particulier, la solidarité résolue avec les travailleuses et travailleurs de toutes les nationalités, par-delà les frontières mais avant tout sur le sol français, est une priorité absolue.
Ces problèmes ne sont pas nouveaux, bien qu’ils se présentent sous une forme inédite. C’est pourquoi les partis éprouvés par l’expérience des révolutions du 20e siècle ont un rôle décisif à jouer dans celles du 21e siècle. C’est le cas du PCF, fruit de l’implantation du bolchevisme international sur le sol du jacobinisme français, entre luttes collectivistes et démocratie radicale. Il lui appartient donc de décider s’il reprend son poste de combat, en agissant pour fortifier la NUPES dans l’épreuve qui vient. Ses traditions municipales et son action internationale, notamment, sont uniques et forment des points d’appui essentiels. À l’inverse, il serait dramatique qu’il y renonce ; qu’à l’image des partis européens du début du 20e siècle, au pire moment possible, il perde le fil de son engagement révolutionnaire.
Louis Aragon prévenait déjà en 1960 : « Sachez-le, toujours le chœur profond reprend la phrase interrompue, du moment que jusqu’au bout de lui-même le chanteur a fait ce qu’il a pu. ».
Le chœur reprend. Faisons ce que l’on peut.