Contribution de Claude Gindin 8 novembre 2024
Il ne faut pas s’habituer à tout. « Philippine n’aurait jamais dû mourir. La loi existe et n’est pas appliquée. Un violeur est un criminel. Il aurait dû être surveillé. Ça n’a pas été fait. Il aurait dû être expulsé. Ça n’a pas été fait. L’État est défaillant. Plus on le prive de ses moyens, plus il recule » a écrit Fabien Roussel sur X le 25 septembre 2024 à 14 heures 22. « J’adresse mes condoléances aux proches de Philippine. Sa mort atteste de notre défaillance collective, allant de la sous-estimation de la dangerosité de son assassin, à notre incapacité à faire respecter certaines OQTF, aujourd’hui trop nombreuses et mal ciblées » a ajouté Léon Deffontaines le même jour, sur le même réseau à 14 heures 41. On ne peut faire passer par pertes et profits de tels propos impliquant, même s’il n’est pas vraisemblable que ce soit ce que leurs auteurs ont positivement voulu dire, qu’il eût mieux valu que le meurtrier, devenu récidiviste, commît son crime dans son pays d’origine.
Une pareille altération du discernement vient sur un fond où est traité comme une illusion à dissiper, comme une parenthèse dans laquelle risque de se perdre notre identité, tout ce qui, à gauche, a pu être ou serait susceptible de faire naître espoir, mobilisation populaire et germe d’un rassemblement viable à vocation majoritaire. Il n’est pas surprenant que, dans ces conditions, telle ou telle déclaration soit la goutte faisant déborder le vase et amène des camarades à s’éloigner du Parti, à le quitter, surtout quand ils pensent qu’elle ne sera pas la dernière dans son genre. Le choix qu’ils font n’est cependant pas, à mon sens, le bon parce que sa logique conduit à la disparition du Parti lui-même. Or celui-ci, pour affaibli qu’il soit, existe. Ce qu’il conserve d’audience et de sympathie dans la société française lui vient d’une longue histoire, d’une forme de constance que lui a permis son organisation en parti et qui est faite de combats nombreux, d’engagements multiples dans la vie sociale, d’efforts tenaces et, plus d’une fois, de sacrifices. Les communistes actuels bénéficient du fait d’en être les héritiers et ils seraient encore plus en difficulté qu’ils le sont déjà si, éparpillés, il leur fallait aujourd’hui tout reconstruire à partir d’une table rase. En cette matière, il ne faut pas se déterminer en fonction d’un attachement affectif à une organisation, mais à partir d’une évaluation la plus lucide possible des conditions d’une action politique efficace.
J’en viens à un point qui relève non du refus de l’inacceptable mais de la discussion politique normale. Est-il juste de dire que nous sommes le parti du travail ? Depuis quelques années, notre secrétaire national le fait assez régulièrement et dans des contextes différents. Ainsi, dans l’Humanité du 11 septembre dernier, après avoir évoqué « la nécessité de reconstruire l’industrie, les services publics, d’embaucher et de former pour la transition écologique », il répond à Diego Chauvet et à Gaël De Santis : « Le PCF est le parti du travail, du respect de la dignité humaine. Retrouver sa dignité, c’est se sentir respecté. Le travail est central dans la reconstruction de la France, mais aussi de soi-même. C’est l’originalité du PCF. »
Toute activité humaine n’est pas travail et, pour l’individu, il n’y a pas de travail sans confrontation à une nécessité à laquelle il répond par une mobilisation, une tension de capacités en vue d’un objectif, qu’il ait lui-même déterminé celui-ci, qu’il lui ait été imposé par autrui ou qu’il en ait décidé avec d’autres.
Si on voit qu’entre dans le champ des questions actuelles sur le travail la révolution technologique informationnelle en cours ; le développement nécessaire des capacités et des pouvoirs de tous les êtres humains pour qu’ils puissent déployer les potentialités de celle-ci ; les transformations en profondeur à réaliser dans la société pour donner une suite efficace à l’aspiration montante à un travail bénéfique tout ensemble pour soi-même et pour la collectivité humaine présente et à avenir ; si l’on songe aux destructions, gaspillages et frustrations qu’impose la prégnance sur la société de la recherche du taux de profit le plus élevé possible au bénéfice d’une toute petite minorité ; si donc on prend en considération ces questions et quelques autres, on conclut sans peine qu’il y a matière à ce que le travail tienne une grande place dans l’intervention politique du Parti aujourd’hui. D’autant que, sur tous ces sujets, les forces du grand capital sont, de leur côté, très présentes, très actives et font preuve depuis longtemps d’une grande capacité d’anticipation.
La question du devenir du travail humain n’est pas non plus hors sujet dans la visée – que nous nommons, pour notre part, communiste – d’un monde d’hommes et de femmes libres, égaux, associés, décidant ensemble, à différentes échelles, de leurs objectifs communs et donc des efforts à fournir pour y parvenir.
Mais définir le Parti communiste français comme le parti dont l’originalité est d’être le parti du travail nous expose à passer à côté de sa raison d’être. Si nous sommes un parti politique c’est parce que nous sommes un collectif organisé dont l’objet et l’intervention dans le domaine du pouvoir et des pouvoirs au sein de la société. Pour ce qui nous concerne, cette intervention a vocation à contribuer à l’efficacité de tous les combats contre tous les rapports d’exploitation et de domination d’êtres humains par d’autres êtres humains. Elle a vocation à contribuer à ce que tous ces combats parviennent, sur leurs différents terrains, à faire prévaloir des décisions réellement émancipatrices. Des décisions, donc des choix politiques.