Pascal Torres : L’apartheid et la situation palestinienne

Pascal Torre, secrétaire de section PCF, membre de la Commission internationale du PCF

Plusieurs événements ont remis sur le devant de la scène la question palestinienne : la publication de nombreux rapports internationaux qualifiant d’apartheid la politique menée par les dirigeants israéliens, une nouvelle agression israélienne à Gaza alors que la répression en Cisjordanie s’est intensifiée depuis plusieurs mois.

Enfin l’initiative prise par les députés communistes, auxquels se sont joints d’autres élus, a obtenu un large écho.

LE CONCEPT D’APARTHEID

Cette notion encore marginale il y a 10 ans est désormais largement utilisée.

Le concept d’apartheid évoque dans les esprits le régime d’Afrique du Sud. Mais ce n’est pas cette référence qui guide cette qualification pour la situation palestinienne. La notion d’apartheid est entrée dans le droit international et répond à une définition juridique qui peut être utilisée dans différentes situations. A titre d’exemple, la commission des droits de l’Homme de l’ONU a conclu un rapport sur les Rohingyas considérant que « les autorités du Myanmar soumettent les hommes, les femmes et les enfants à la ségrégation et à l’intimidation dans un système d’apartheid déshumanisant » sans jamais citer une seule fois l’Afrique du Sud.

Le crime d’apartheid (qui est un crime contre l’humanité) est qualifié par le Statut de Rome (1998), instituant la Cour Pénale Internationale, comme un crime contre l’humanité ; cette qualification fut initialement opérée par différentes résolutions du Conseil de Sécurité (1984) et de l’Assemblée Générale (1966) des Nations-Unies relatives à l’Afrique du Sud. La Convention pour l’Élimination et la Répression du crime d’apartheid de 1973 le définit comme « un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ».

Permettez-moi de m’arrêter sur le terme « groupe racial ». Cette expression, disons-le d’emblée, n’est pas la nôtre et ne convient pas pour désigner les juifs en général et les Israéliens en particulier. Reste que cette formule n’est pas arrivée par hasard et figure dans des conventions et statuts divers émanant de l’ONU. C’est donc faire un mauvais procès à ceux qui citent ces textes de les qualifier de racistes et d’antisémites. Nul Etat ou gouvernement n’a jamais taxer l’ONU de racisme et d’antisémitisme pour ces textes. Cette polémique cache le refus de considérer le régime d’Israël comme un régime d’apartheid. Force est aussi de constater que les autorités israéliennes répètent ouvertement : « le peuple juif et les non juifs ». Il y a vraiment une séparation claire dans la langue et le discours.

Plusieurs rapports ont été publiés ces derniers mois : deux émanent d’ONG israéliennes : Yesh-din et B’Tselem et de deux autres ONG internationales : Human Right Watch et Amnesty International. Elles ont procédé à des enquêtes de terrain longues et approfondies, se fondant sur la définition juridique de l’apartheid. Aucun de ces rapports ne prétend que la situation en Israël et en Palestine est analogue à celle de l’Afrique du Sud. Et pourtant la plupart des attaques dont ils font l’objet tentent d’accréditer cette idée. Le même reproche est formulé à l’égard de nos parlementaires.

Les rapports prennent en considération les différences de traitement par Israël des diverses composantes du peuple palestinien. Ils distinguent clairement le traitement des Palestiniens d’Israël, de ceux qui vivent sous occupation, sous blocus ou des réfugiés. Les parlementaires communistes insistent sur les différences de traitement entre les diverses entités palestiniennes.

POUQUOI PEUT-ON PARLER D’APARTHEID DANS LE CAS D’ISRAËL ?

Rares sont ceux qui aujourd’hui nient l’existence d’un régime d’apartheid c’est-à-dire, au sens juridique et politique à savoir un régime qui intentionnellement fait de la ségrégation systématique et qui installe un système d’oppression et de domination. Pour l’appréhender, il faut parler de situations concrètes et dire ce qu’y d’y passe.

  • C’est le cas à Gaza dont les 2M d’habitants vivent un cas extrême d’oppression systématique dans une prison à ciel ouvert : bombardements, le blocus des produits de première nécessité. Ils sont privés de tout droit. Rappel : plus de 1400 gazaouis ont trouvé la mort en un mois en janvier 2009.
  • C’est le cas de la Cisjordanie (3M) : Dans les territoires occupés l’armée israélienne contrôle l’eau et toutes les ressources naturelles. Les Palestiniens, qui dépendent de l’arbitraire des lois militaires à l’intérieur d’enclaves de plus en plus restreintes et isolées, entre lesquelles il n’est pas possible de circuler sans autorisation israélienne, ne jouissent d’aucun droit. Ils sont poussés hors de leurs terres et de leur maison. Ils sont ségrégués par des lois, des murs et des postes de contrôle. Ils vivent dans un état de peur permanent, appauvris délibérément. Aucun droit ne régit leur travail dans les colonies, ni un salaire minimum, ni un âge minimum, ni un maxima horaire.

 Quant aux colons (700 000), qui vivent dans les territoires occupés, ils dépendent des lois israéliennes et ils ont tous les privilèges.

  • C’est aussi le cas à Jérusalem Est : les Palestiniens ont un statut de résident (lorsqu’on ne leur a pas révoqué… c’est le cas de 140 000 d’entre eux. Salah Hamouri connait une procédure analogue) qui comporte des droits sociaux mais aucun droit politique.
  • J’ajoute que les réfugiés palestiniens n’ont pas le droit au retour alors que la résolution 194 de l’ONU leur donne pleinement ce droit.

Pour ces entités, il y a bien un régime politique d’apartheid et pour les deux premières, on peut même parler de crimes d’apartheid sans hésitation et on a que l’embarras du choix.

A l’inverse, et il n’est pas inutile de le rappeler, tout juif du monde entier peut s’installer librement en Israël et dans les territoires occupés avec l’aide de l’Etat et avec des droits identiques sinon meilleurs que la population juive d’Israël.

  • En réalité, le cœur du débat porte sur l’existence ou non d’un tel régime en Israël même. En effet les Palestiniens d’Israël ont le droit de vote, d’éligibilité, de constituer des partis. Les Palestiniens d’Israël sont des citoyens et cela ne fait pas débat. Ici l’apartheid au sens politique tient à un ensemble de lois et de règlements qui instaurent des discriminations vis-à-vis des citoyens arabes. Rappelons qu’Israël distingue la nationalité (juifs/arabes/druzes) de la citoyenneté

La principale est la loi qui a transformé l’Etat d’Israël d’un « Etat juif et démocratique » en « Etat-Nation du peuple juif » (19 juillet 2018). L’art.1 stipule que : « seul le peuple juif a droit à l’autodétermination nationale en Israël ». L’autre peuple constitutif de la population d’Israël en est privé. La souveraineté n’appartient qu’au peuple juif et non pas aux Palestiniens. L’apartheid est ainsi gravé dans le marbre.

Il y a par ailleurs des lois et règlements dans toute une série de domaines qui instaurent des discriminations. L’exemple le plus frappant est celui des terres. En 1947, les juifs en possédaient 7%. Du fait de la loi sur les absents et celles qui ont suivi, un véritable apartheid foncier a prévalu. Les arabes disposent aujourd’hui de 3% des terres.

De plus, ils ne peuvent pas vivre où ils veulent, y acheter des terres ou construire une maison (d’où les démolitions qui pèsent sur celles de 150 000 Palestiniens). En 2020, 1094 permis de construire ont été donnés aux Israéliens, 1 pour les Palestiniens. En 2011, s’est mis en place « un comité d’admission » qui décide si un Palestinien désirant s’installer dans une ville ou un quartier, un immeuble juif est « convenable ». Est-il besoin de vous soumettre le résultat !

Les discriminations touchent aussi le mariage (en Israël, il n’y a pas de mariage civil mais que le mariage religieux donc un non juif ne peut pas se marier avec un juif que s’il se convertit. Les couples mixtes vont se marier à Chypre), l’accès au travail, au regroupement familial, au droit au retour dans leur village d’origine.

Nous sommes bien, quelle que soit l’entité, dans une situation juridique d’apartheid qu’impose l’Etat d’Israël aux Palestiniens au sein de son territoire national et dans les territoires occupés. Si on voulait encore s’en convaincre, il suffit de regarder les quatre types de « carte d’identité » existantes.

Pour maintenir ce système, les atteintes aux droits humains sont la partie la plus visible, la plus violente. Fin 2020, 4236 Palestiniens sont détenus dans les prisons, 352 détenus sans inculpations ni procès (par exemple, la détention administrative que subit Salah Hamouri). Entre 2000 et 2017, 4828 Palestiniens ont été tués dont 1793 mineurs en dehors de tout contexte de conflit armé. Aucun soldat israélien n’a été reconnu coupable d’avoir tué un Palestinien.

Lev Grinberg, président de l’association israélienne de Sociologie considère et je cite : « la situation est pire que l’apartheid » en février 2022.

Ahmed Kathrada (figure majeur de l’ANC, condamné à la prison à vie avec Mandela) a déclaré à l’occasion d’un déplacement en Israël : « c’est pire que l’Afrique du Sud »

POURQUOI L’ATTAQUE CONTRE GAZA

Le 5 août, le gouvernement israélien a lancé une offensive aérienne contre la bande de Gaza. Il ne s’agissait pas de répliquer à des tirs en provenance du territoire palestinien mais de procéder à une attaque préventive après l’arrestation une semaine avant, en Cisjordanie, du responsable du Djihad Islamique, Bassem Saadi.

47 Palestiniens dont 17 enfants ont été tués et le Djihad Islamique a riposté en lançant des roquettes sur le territoire Israélien. Gaza a été totalement bloquée si bien que la centrale qui fournit de l’électricité ne fonctionne plus. Le carburant nécessaire à son fonctionnement transite par Israël.

Pourquoi Israël frappe maintenant ? les raids sur Gaza ne sont pas isolés. Depuis plusieurs mois des opérations de répression en Cisjordanie contre toute la résistance palestinienne s’intensifie (Salah Hamouri). La politique d’occupation s’aggrave en vue des prochaines élections générales en Israël. Les vainqueurs seront ceux qui seront les plus déterminés à faire taire les Palestiniens. Le curseur n’est plus seulement à droite mais à l’extrême droite avec des fascistes et des suprématistes qui jouent les arbitres.

Cette fuite en avant a deux aspects :

  • L’occupation et la colonisation renforce le poids des colons dans la société et dans la vie politique. A Jérusalem-Est occupée et annexée, les colons multiplient les provocations notamment sur l’esplanade des Mosquées
  • La colonisation se renforce car Israël ne veut pas de la création d’un Etat palestinien. Elle considère que la Palestine historique est leur territoire. En empêchant les palestinienne de disposer d’un Etat, on crée de fait une situation d’apartheid. A terme, cette situation mettra de plus en plus en péril l’existence même d’Israël.

Les réactions internationales sont sans surprise favorisant l’impunité d’Israël. Si la rapporteuse générale de l’ONU a qualifié cette opération militaire « illégale, immorale, irresponsable », les Etats-Unis considère qu’Israël a le droit de se défendre. J. Biden dans un voyage récent a d’ailleurs ignoré la question palestinienne et n’a pas remis en cause les choix de D. Trump. Quant à l’Union Européenne, elle se garde prendre position.

On ne peut qu’être scandalisé par les deux poids, deux mesures dont sont victimes les Palestiniens dans des indignations sélectives.

INITIATIVE DES DEPUTES COMMUNISTES

C’est dans ce contexte que les députés communistes ont pris l’initiative d’un texte qui a été déposé à la fin de de la précédente mandature. Il correspond à notre engagement solidaire, internationaliste. Au regard des faits, elle est fondée et salutaire.

Je rappelle qu’ils soutiennent, entre autres, les conclusions des rapports des ONG qui conclut à un système d’apartheid. Ils demandent que la France reconnaisse l’Etat de Palestine, comme la légalité de l’appel au boycott.

Il ne se passe plus rien sur la question palestinienne, plus personne ne propose une initiative de paix. A l’ONU, 170 pays s’expriment en faveur de la Palestine et rien ne bouge ! Il s’agit de secouer la situation, de favoriser les prises d’initiatives, de créer une nouvelle dynamique, et notamment de la France dans un rapport de force plus défavorable.

L’existence d’un système d’apartheid ne signifie pas que l’on se débarrasse d’autres notions pour appréhender la question palestinienne. En aucune manière la question palestinienne ne se réduit à un seul concept, certes avéré, celui d’apartheid, excluant certaines dimensions du conflit.

Le droit international, constamment violé par Israël, est fondamental avec notamment le droit pour les Palestiniens de construire un Etat sur l’ensemble des territoires occupés en 1967. La Charte de l’ONU elle-même interdit toute acquisition de territoire par la force. La dépossession des terres, c’est le fondement de l’apartheid dans les territoires occupés. Considérer que des pays n’ont pas de compte à rendre c’est tirer un trait sur tous les acquis internationaux.

On a aussi un système qui au quotidien fragmente les territoires, la société, avec la volonté d’empêcher les Palestiniens de se penser comme un peuple, de maintenir sur eux le contrôle et la domination.

LA VIOLENCE DES ATTAQUES

On peut entendre que certains aient besoin d’approfondir le débat sur l’apartheid, notion qui s’est imposée assez récemment. Ce que l’on ne peut accepter c’est le chantage à l’antisémitisme et la calomnie que les propagandistes inconditionnels des politiques conduites par Israël. Ils sont de mauvaise foi et ont pour seul argument le chantage à l’antisémitisme, à l’instar des pratiques honteuses de B. Netanyahou, de Naftali Bennett ou de Yaïr Lapid.

Nous ne tolérons aucune forme d’antisémitisme et tous les actes du PCF en témoignent. Nous sommes fermes sur l’antisémitisme comme nous sommes fermes sur le fait de ne pas céder aux pressions de ceux qui voudraient que nous abdiquions dans notre défense des Palestiniens.

Nous condamnons les comparaisons absurdes de Mahmoud Abbas entre l’Holocauste et la Nakba qui ne font que porter tort à la cause palestinienne.

Par ailleurs, n’en déplaise à Macron, nous n’assimilons pas antisémitisme et antisionisme. Nous rejetons tous ceux, notamment à l’extrême-droite, qui cherche à s’abriter derrière un supposé antisionisme pour masquer leur antisémitisme.

Mais est-on antisémite lorsqu’on critique la politique d’Israël ? En quoi critiquer la politique d’Israël serait glisser vers la manifestation de la haine des juifs comme l’a fait le garde des Sceaux ? Cette diffamation est obscène et banalise le danger bien réel du racisme et de l’antisémitisme (agressions, insultes profanations)

Quant à ceux qui prétendent que parler d’apartheid exprime en fait la volonté de destruction d’Israël, faut-il leur rappeler que la fin de l’apartheid en Afrique du Sud n’a pas entraîner la disparition de cet Etat mais de son régime !

Personne ne détient la vérité absolue. Il y ceux qui ont du mal à admettre qu’Israël est un Etat d’apartheid. Il faut poursuivre le dialogue, défendre nos idées, sans rejeter quiconque. Gardons-nous de ceux qui ont des démarches fermées et qui ne cherchent pas à convaincre mais à condamner. La cause palestinienne a besoin de toutes et de tous.

QUELLES PERSPECTIVES POUR LES PALESTINIENS ?

Le nouvel ordre régional, les accords d’Abraham qui ont conduit un certain nombre de pays arabes à normaliser leurs relations avec Israël (EAU, Bahreïn, Maroc, Soudan) ont relégué à l’arrière-plan l’importance de la question palestinienne. Ces accords se font sur le dos des peuples avec la mise à disposition des tyrans de la technologie israélienne de contrôle et d’espionnage de leur population. Les peuples ne sont pas dupes et demeurent toujours solidaires.

Il y a pourtant un manque de perspectives chez les Palestiniens.

L’Autorité Palestinienne est corrompue et inefficace. L’absence de perspective politique permet au Hamas, organisation politico-militaire, comme au Djihad Islamique, de s’en nourrir. L’AP comme le Hamas ont commis des violations des droits humains mais on ne peut pas renvoyer dos à dos les Palestiniens et les Israéliens, il n’y a pas d’équivalence.

La crise palestinienne a évolué demeurant une lutte de libération nationale mais aussi une question de défense universelle des droits civils et du principe de dignité. Le tollé mondial après l’assassinat de la journaliste américano-palestinienne Shirin Abou Akleh témoigne de cette évolution. Il en va de même pour le soutien au mouvement BDS.

Les tensions sur l’esplanade des Mosquées donne une dimension religieuse au conflit rappelant la qualité de ville sainte de Jérusalem. Cette dimension ultra-sensible engage les Palestiniens mais aussi tout le monde musulman. Ce dédoublement du religieux et du politique inquiète les pays arabes qui acceptent la colonisation mais ne peuvent pas gérer ce choc culturel.

La Palestine a subi des revers, pourtant la crise ne se dissipera pas. Certes les Palestiniens sont dans une impasse mais la revendication d’émancipation persiste face au colonialisme implacable.

Il n’est pas exclu que de nouveaux soulèvements se produisent. La nouvelle génération cherche sa propre voie et exige l’égalité. Ce qui est sûr c’est que les Palestiniens ne partiront pas. L’époque rêvée du transfert est bien finie

Toutes ces analyses convergent avec les entretiens que nous avons régulièrement avec le PC Israélien, le Parti Populaire Palestinien et d’autres organisations progressistes israéliennes comme Standing Together, (avec lesquelles des liens de confiance, de solidarité et de luttes se sont forgés au

Il faut s’attaquer à l’impunité qui est de nier le fait qu’il existe bel et bien un système de domination. Notre objectif : faire bouger les lignes afin de démanteler un système qui maintient les Palestiniens depuis des décennies dans un statut inférieur.

Dans ce contexte, une délégation du secteur international du PCF s’est rendue dernièrement en Palestine pour mieux apprécier la situation sur place et préparer les conditions d’une multiplication du rythme des délégations afin de briser l’isolement des Palestiniens et contribuer ainsi à faire voler en éclat le statu quo.