Roussel ou Rousseau, faut-il choisir ?

Contribution de Jean Noël Aqua

Dans les colonnes du Figaro, Fabien Roussel a déploré que le problème du Nouveau Front Populaire (NFP) serait dans ses paramètres qui ont « fait élire dès le premier tour Rousseau et battre Roussel ». Il analyse « si je n’avais pas fait cette alliance, j’aurais conservé mon poste », et de conclure que «s’il devait se représenter», en cas de nouvelles législatives, «ce ne serait pas dans une alliance avec LFI».

De très nombreux communistes du 13e arrondissement de Paris ont très activement pris part à la campagne dynamique de Sandrine Rousseau qui l’a fait élire dès le premier tour. C’était un objectif de campagne visant à créer une dynamique NFP au niveau national pour le second tour, et à libérer de la force militante pour des circonscriptions voisines pour le second tour. Par ailleurs, si la victoire du premier tour dans le 13e est liée à l’espoir que l’union à gauche à faire naitre, elle l’est aussi à la sociologie de la circonscription. Qui place régulièrement la gauche sur de très hauts scores, scrutin après scrutin.

Faut-il regretter les paramètres du NFP ? Nous pouvons et devons améliorer le NFP. Mais pas en opposant certaines luttes à d’autres. Sandrine Rousseau est une personnalité singulière et entendue sur les luttes féministes et l’écologie. Fabien Roussel est une personnalité singulière et entendue sur les luttes sociales et la réindustrialisation. Nous avons besoin des deux. Il est dans la philosophie communiste de lutter contre toutes les formes de domination. De lutter contre l’exploitation des travailleurs.ses, mais aussi contre la destruction de l’environnement, contre la domination patriarcale, contre tous les racismes, etc. Être révolutionnaire aujourd’hui, c’est dépasser les oppositions factices entretenues par le système et notamment la presse de droite. Pour faire converger toutes celles et tous ceux, et ils sont nombreux et nombreuses, qui veulent des jours meilleurs. Cette exigence est une évidence. La convergence des luttes répond à la conjugaison des dominations. Par exemple, les classes populaires qui habitent massivement près des grands axes routiers sont les premières victimes en nombre de morts de la pollution de l’air. Une pollution entretenue par les forces capitalistes qui résistent à la régulation des moteurs thermiques, et par la droite qui soutient toujours et encore le lobby automobile. Lutter pour un environnement de qualité pour toutes et tous, est structurellement une lutte populaire. Il n’y a pas lieu d’opposer les deux. Les exemples sont légions.

Le projet du NFP aurait-il donc été déséquilibré ? Ses paramètres auraient-ils été biaisés sur des thématiques qui parleraient plus, voire trop, à certaines catégories au détriment d’autres ? Faut-il opposer les villes aux campagnes, les travailleurs des classes populaires aux travailleurs diplômés, les jeunes aux personnes âgées, les femmes aux hommes ?

Reprenons les priorités du programme du NFP pour ses 100 premiers jours : 1. Faire une grande loi pour le pouvoir d’achat ; 2. Faire une grande loi santé ; 3. Faire une grande loi éducation ; 4. Entamer la planification écologique ; 5. Lutter contre toutes les formes de racismes, contre l’antisémitisme et l’islamophobie ; 6. Abolir les privilèges des milliardaires. Ces six grandes priorités permettent d’avancer collectivement sur les luttes structurantes de la gauche française. Les « paramètres » du NFP sont pertinents, et le restent.

Ces priorités sont en capacité de produire des changements profonds de notre société. La droite et l’extrême-droite ne s’y sont pas trompé en fustigeant, déformant, stigmatisant le programme du NFP. C’est un programme qui est à même de déranger de nombreux privilégiés. Et de produire des ruptures dans notre histoire comme l’a fait le front populaire de 1936.

Ces priorités sont en capacité de répondre aux exigences de toutes celles et tous ceux qui souffrent des fins de mois difficiles, qui vivent dans la précarité permanente, qui subissent la casse des services publics, qui subissent pour leurs enfants la saignée dans l’éducation, qui fréquentent des hôpitaux poussés au bord de la faillite, qui vivent au jour le jour le racisme, qui sont confinés dans un environnement de mauvaise qualité. Cela fait beaucoup, beaucoup de françaises et de français. Les outils sont en place pour que le NFP puisse convaincre une majorité d’électeurs et d’électrices de produire les ruptures nécessaires.

Mais le NFP doit être amélioré car il a échoué à obtenir une majorité non relative mais absolue. Amélioré, et non miné de l’intérieur. Nous vivons dans un monde où la poussée de l’extrême-droite et de ses haines est forte. Nous vivons dans un pays où le soir du premier tour des législatives de nombreux commentateurs prédisaient une majorité absolue à l’extrême-droite. Nous vivons dans une période où la droite a accepté de s’allier de facto à l’extrême-droite pour prendre le pouvoir gouvernemental. Le NFP, en se qualifiant dans de très nombreux seconds tours, a permis de voir une forte poussée de la gauche. Insuffisante mais réelle. Il a permis de prendre de nombreuses circonscriptions à la droite. Et d’éviter la catastrophe d’une majorité absolue de l’extrême-droite. Il est insuffisant, mais son bilan est positif, y compris en termes d’adhésions et d’engagement au sein du PCF.

Désormais la menace de l’extrême-droite est encore plus forte. Certains, de la droite réactionnaire aux multimilliardaires, travaillent activement pour que « ça finisse bien par passer », une victoire de l’extrême-droite. En parallèle de la rupture que nous voulons, nous devons avoir comme priorité de déjouer cette stratégie. Les deux étant d’ailleurs indissociables.

Notre priorité doit donc être double. Affirmer et améliorer le Nouveau Front Populaire. Dans un travail collectif. Le NFP doit se développer sans hégémonie, mais aussi sans rancœurs ou règlements de compte stérilisants. Si le NFP doit être amélioré, c’est notamment parce qu’il s’est forgé en un temps court. Trop court. Passé les élections, nous avons tout le temps désormais pour agir. Ouvrons les débats, ouvrons des espaces collectifs de co-construction. Ouvrons une dynamique à la fois nationale et locale. En associant l’ensemble des partis, des syndicats et associations qui ont construit le NFP, mais aussi les citoyen.nes qui y ont apporté leur énergie et intelligence. Car le NFP, à la différence de la NUPES, a réussi à dépasser sans la négliger, la simple union des partis, en se rapprochant ainsi de l’expérience de 1936.

Aujourd’hui, les partis du NFP s’engagent insuffisamment dans la poursuite du NFP, englués par des oppositions internes à la démarche unitaire. Les paramètres qui doivent être changés sont certainement à chercher dans la volonté d’impulser une nouvelle phase du NFP. Cette volonté doit se construire collectivement. Une conférence nationale est organisée par le parti communiste le 14 décembre pour notamment aborder la question de notre stratégie. Comment comprendre que les déclarations de Fabien Roussel dans le Figaro présentent un avis définitif et bloquant avant même les débats collectifs ? Le fonctionnement démocratique d’un parti doit donner à voir l’ambition démocratique qu’il porte.

Rappelons-le enfin. La gauche n’a jamais été aussi forte et utile que dans l’union. Le PCF n’a jamais été aussi fort et utile que dans l’union. L’utilité de la politique est de vouloir changer ce qui doit l’être, et de penser les moyens pour le faire. L’unité des luttes et l’unité d’action sont les conditions des jours heureux dont le peuple a besoin.

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