Contribution de Bernard Friot, Alpes Maritimes, section de la Roya
Certes les orientations mises en œuvre depuis 2018 ont totalement échoué dans leur ambition de stopper le recul du parti en poids électoral, en nombre d’élus et en nombre d’adhérents, cependant que de nombreux camarades ont été absurdement mis sur la touche. Et, plus grave, la décision de présence à toutes les élections a des résultats très négatifs : avoir empêché la présence de Mélenchon au second tour de la présidentielle a fait de Marine Le Pen l’expression de la colère populaire contre Macron, une faute politique majeure qui a contribué à la victoire électorale du RN ; notre démocratie interne est affaiblie par le retour de la figure omniprésente du secrétaire national candidat ; une activité déjà trop centrée sur les élections l’est encore davantage ; la compétition électorale nous a conduits à saborder la Nupes et à laisser faire la diabolisation de LFI ; et ne parlons pas de l’état de nos finances au terme de campagnes non remboursées. Notre conférence nationale doit non pas s’inscrire dans la poursuite des orientations prises depuis 2018 (qui auraient été insuffisamment mises en œuvre) mais discuter leur bien-fondé.
Cela dit, ces dérives, même hélas pimentées des saillies hasardeuses de Fabien Roussel et de ses œillades aux notables socialistes, viennent de beaucoup plus loin que 2018. Proposer un retour à une pratique politique ouverte dans ses objets et ses partenaires, en particulier en faisant vivre le NFP comme mobilisation citoyenne, est bien sûr juste mais doit avoir un contenu communiste. Et ici, c’est toute notre culture militante qu’il faut interroger si nous voulons sortir du déclin.
Depuis plus d’un demi-siècle, notre parti est engagé dans une logique d’union de la gauche, non pas simple tactique électorale (alliance électorale évidemment nécessaire), mais fondée sur un programme commun. Il s’agit de gagner les élections pour appliquer un programme qui n’est pas communiste puisqu’il doit être commun avec des partis qui ne le sont pas. Notre programme est centré sur la prise de pouvoir par une victoire électorale qui permettra une politique publique de justice fiscale, de hausse des salaires, de soutien aux services publics, de garantie de plein emploi/formation assurant la continuité du salaire entre 18 et 60 ans, de réindustrialisation grâce à quelques pôles publics (du crédit, du médicament, de l’énergie entre autres).
Il n’y a rien de communiste dans tout cela. Et c’est d’ailleurs revendiqué comme tel : le communisme, c’est pour après.
Non, le communisme, c’est aujourd’hui ou jamais.
Et c’est une union communiste, et non pas une union de la gauche, qu’il s’agit de construire dans le NFP, sur le terrain des services publics, des entreprises, des territoires, de l’international, avec son inscription législative et gouvernementale. En son cœur, la conquête de la souveraineté sur le travail. Seul a valeur anthropologique le travail décidé collectivement et mis en œuvre sans aliénation ni exploitation d’aucun vivant, humain et autre qu’humain, et c’est là le lieu de la dynamique communiste à l’œuvre pour nous sortir d’un capitalisme qui instrumente pour le pire producteurs et production en vue du profit. Jamais la conscience de cela n’a été aussi forte, jamais les réalisations partielles – mais encore marginales – d’un travail souverain, n’ont été aussi nombreuses.
Quels éléments programmatiques cette dynamique communiste en cours appelle-t-elle ? L’énoncé successif de cinq d’entre eux n’implique pas hiérarchie : il faut les mener ensemble.
Premièrement, il faut des droits économiques attachés à la personne majeure et non pas à sa performance sur le marché du travail ou sur celui des biens et services. Il est impossible de faire des travailleurs les décideurs de la production tant que leurs droits dépendent du contrat de travail passé avec un employeur (fût-il public) ou, si l’on est indépendant, du contrat passé avec un prêteur, un fournisseur ou un client (fussent-ils publics). Il faut absolument distinguer deux droits également nécessaires : le droit au salaire, qui doit devenir un droit politique de toute personne majeure, et le droit au contrat, qui doit lui permettre de participer à un collectif de travail. En aucun cas le droit au salaire ne doit dépendre du droit au contrat. En maintenant cette dépendance, la sécurité emploi-formation ne nous sort pas de la logique capitaliste et piétine le déjà-là communiste du salaire comme droit de la personne dont les prémices concernent déjà le tiers des plus de 18 ans. Passer à 100% sera d’ailleurs le seul moyen de conserver ce conquis.
Et d’engager une bataille qui assèche les raisons du vote populaire pour l’extrême-droite. Car la dynamique communiste en cours appelle, deuxièmement, un enrichissement de la citoyenneté.
D’une part par sa distinction de la nationalité : seule la résidence doit être le fondement des droits de citoyenneté, contre la permanente construction capitaliste de l’inégalité des droits des personnes en vue de leur surexploitation et de la désignation d’une partie d’entre elles, racisées, comme boucs émissaires. Nul humain n’est illégal, tout résidant devient automatiquement, quelle que soit sa nationalité, citoyen français.
D’autre part grâce au centrage de la citoyenneté sur ce qui en est aujourd’hui exclu, le travail, la production. Exclusion qui est au fondement de la crise démocratique utilisée par la bourgeoisie pour sortir son joker fasciste. Pour que toute personne majeure résidant sur le territoire national décide de la politique du travail, trois droits doivent lui être automatiquement attribués à sa majorité, quels que soient sa nationalité, son ascendance immigrée, son niveau scolaire ou son éventuel handicap, et cela jusqu’à sa mort. Premier droit, le droit au salaire, avec attribution à 18 ans du premier niveau de qualification et par ex les 1800 euros nets du Smic revendiqué, et la possibilité de monter en qualification dans la limite d’un salaire net maximum de par ex 5000 euros par mois. Deuxième droit, le droit micro-économique de propriété de l’outil de travail : propriété d’usage de l’outil qu’elle utilise et propriété patrimoniale des outils relevant du collectif territorial auquel elle appartient. Troisième droit, le droit macro-économique de décider des institutions de coordination de la production : création monétaire, logiques territoriales d’implantation de productions, place dans le partage international du travail en particulier. Cette extension à tous les majeurs du droit de propriété d’usage et patrimoniale de l’outil de travail doit évidemment être accompagnée de l’interdiction de toute propriété lucrative, qu’elle porte sur l’outil de travail, l’immobilier, le foncier, les brevets ou autres.
`On mesure combien le système éducatif, initial et tout au long de la vie, doit être modifié et renforcé pour former à l’exercice effectif de ces droits et responsabilités. Et combien le temps de travail directement productif de chaque personne doit être réduit pour permettre son temps de travail consacré à la délibération, à la rotation des responsabilités et à la vérification de la réalisation des décisions collectives, à la formation, au démantèlement ou à la réorientation des outils de travail capitalistes, aux apprentissages de la réaffirmation du travail vivant partout où le capital, contre le bon exercice du travail concret, l’a remplacé par du travail mort. Réaffirmation à conduire en bonne intelligence avec les vivants autres que les humains et ce que l’on appelle le non-vivant, ce qui suppose, là encore, d’immenses apprentissages. Sur tous ces terrains, on observe une effervescence communiste qui s’exprime plutôt en marge des grands lieux de production. La responsabilité du parti communiste est de la sortir de la marge et de l’implanter dans toutes les entreprises, les banques et les services publics.
C’est précisément l’enjeu des troisième et quatrième éléments programmatiques qu’appelle la dynamique communiste en cours.
Le troisième est le dépérissement de l’Etat. Il s’agit de passer de l’Etat capitaliste à l’Etat communiste dans l’actualisation des grands conquis communistes qu’ont été la gestion partielle du régime général de sécurité sociale par les travailleurs et le statut de la fonction publique, étendu aux « salariés à statut » de grandes entreprises publiques. Ces conquis, évidemment très combattus, ont disparu ou sont très menacés parce que leur vitalité et leur généralisation n’ont pas été à l’ordre du jour des organisations de classe. Leur actualisation suppose que les fonctionnaires utilisent collectivement leur statut pour ne travailler que selon leur déontologie et maintenir en fonction, à leur initiative et avec la contribution des usagers, les services publics que le pouvoir décide de fermer. Pour prendre un exemple dans l’enseignement et la recherche, c’est aux personnels de décider des programmes et des emplois du temps, d’élire des responsables tournant sans rôle hiérarchique, de refuser de répondre aux appels d’offre ou que soient dévolus aux établissements masse salariale et patrimoine, de maintenir en activité une classe vouée à la fermeture, de faire obstacle au recrutement de contractuels. La démonstration concrète de la supériorité du statut de la fonction publique dans la conquête de la souveraineté sur le travail est nécessaire à la fois pour son extension, pour lutter contre le découragement et l’intimidation qu’organise le pouvoir exécutif dans le but de faire des services publics des entreprises, et pour impulser, dans la prise du pouvoir sur leur travail par les fonctionnaires, la conquête citoyenne du pouvoir d’Etat sans laquelle sa conquête électorale est une illusion.
Le quatrième élément programmatique nécessaire à la confirmation de la dynamique communiste en cours dans le champ du travail est la généralisation du remplacement de l’avance monétaire en capital par l’avance monétaire en salaire. Toute production suppose une avance monétaire. Mais qu’elle soit à crédit est désastreux : alors que nous sommes les seuls producteurs de la valeur, nous sommes endettés avant même de commencer ! L’aliénation et l’exploitation du travail qui en découlent ne seront pas réduites par le remplacement d’un (mauvais) prêteur capitaliste par un (bon) prêteur public. La proposition d’un pôle public du crédit est, ici encore, réactionnaire et piétine les conquis communistes de l’avance en salaire, et donc sans endettement. Conquis de la production non marchande des fonctionnaires sans endettement, avant l’interdiction par l’Union européenne de l’avance monétaire de la Banque centrale aux Etats. Conquis de la mise en sécurité sociale de la production de soins sans endettement au cours des années 1960 et 1970 : alors richement dotée par une forte hausse du taux de cotisation (le taux de cotisation famille, santé, vieillesse, chômage est passé de 33 à 55% du salaire brut entre les années 1950 et le début des années 1980), l’assurance maladie a avancé ce salaire socialisé pour construire les CHU, transformer les hospices en hôpitaux locaux, créer des maternités, conventionner les soignants ambulatoires, créer une fonction publique hospitalière.
Il faut aller plus loin en actualisant ces magnifique conquis de libération des travailleurs du fatum de la Dette (avec une majuscule quand on sait combien elle sert de divinité au service du capital). Pour assurer les 1800 milliards nécessaires à un salaire moyen mensuel net de 3000 euros des 50 millions de plus de 18 ans, nul besoin de croire qu’on ne peut distribuer qu’une valeur déjà produite, par sa meilleure répartition grâce à une taxation des profits, et par sa croissance grâce entre autres à une politique de lutte contre les passoires thermiques : l’avance des salaires par création monétaire, génératrice d’une production de valeur équivalente, suffit. Et elle est possible sans quitter l’UE, en sortant de la zone euro, et même sans sortir de celle-ci, en créant un moyen de paiement non convertible en euros.
Cinquième des éléments programmatiques à mettre en avant pour accompagner et nourrir l’effervescence communiste dans le champ du travail : les mesures pour le sortir de l’impérialisme. Dans un pays colonialiste comme le nôtre, où aucune entreprise sérieuse de décolonialisation tant de l’histoire officielle que des pratiques quotidiennes n’a été menée, ce qui rend possible l’ignoble criminalisation de la dénonciation du colonialisme génocidaire d’Israël, dans un pays où fait aujourd’hui florès la racisation coloniale des parasites à éliminer pour que les prétendus Français de souche jouissent enfin des fruits de leur travail, les luttes décoloniales sont un élément décisif de la lutte de classes. En plus de la campagne pour une citoyenneté riche de droits identiques à tous les résidents majeurs, ces luttes doivent être soutenues par la taxation de tous les produits importés de sorte que leur prix final soit égal à celui qu’aurait leur production en France, et les sommes ainsi collectées doivent être reversées aux organisations de classe des travailleurs des pays producteurs.
Notre parti, englué dans sa logique électorale et son mortifère repli identitaire accentués depuis 2018, corseté de longue date par un programme commun d’union de la gauche, est aujourd’hui largement impuissant – pire : inutile – sur tous ces champs du communisme aujourd’hui en effervescence. L’indispensable contribution à la vie de collectifs NFP n’a de sens que pour y amener toutes les réalisations partielles, ici et maintenant, de cette effervescence et leur donner une épaisseur à l’échelle nationale et un débouché législatif. Car cette effervescence a besoin d’organisation politique en mesure d’articuler réalisations micro-sociales et construction d’institutions macro-sociales, dissidences dans l’exit et voice sur les lieux majeurs de travail, conquis sur les lieux de travail et nécessaire confirmation de ces conquis au parlement et au gouvernement.
C’est notre inscription comme parti politique communiste dans une dynamique communiste qui, heureusement, le dépasse et à laquelle il a le bonheur d’apporter sa contribution spécifique qui nous libérera de l’amertume, du volontarisme, des règlements de compte, de la sempiternelle culpabilisation de n’en pas faire assez.