Nathalie Simonnet : L’abstention politique

Nathalie Simonnet : Secrétaire départementale du PCF Seine-Saint-Denis, membre du CN et de l’executif national

Ce propos se centre sur l’analyse politique de l’abstention afin de pointer des pistes pour travailler à une remobilisation politique des citoyens.

En premier lieu, on peut dire que c’est un mouvement de fond qui s’accélère (aux régionales de 2021, elle est de 66,6% soit 15 points de plus qu’en 2015) et qui pose des questions très politiques, que les campagnes organisées pour s’inscrire sur les listes ou pour encourager au vote ne peuvent régler.

D’autre part, il y a parfois débat est-ce qu’il y a une ou des abstentions, je parlerais pour ma part, d’abstention politique.

Les causes de l’abstention sont à mon sens très profondes et politiques.

Nous vivons dans un monde de plus en plus dur, violent ou les crises se succèdent, crise financière, guerres, attentats, chômage, précarité, destruction des services publics, (voyons l’état de l’hôpital ou de l’école dans notre pays pour ne citer que ces 2 ex mais on pourrait aussi parler de la justice), un affaiblissement des réponses collectives au profit de réponses individuelles et de la méritocratie. Dans la dernière période se sont ajoutées à cela la pandémie et la guerre en Ukraine.

Les régressions individuelles et collectives ont pris le pas sur le fait que de génération en génération on vivait mieux, qu’il y avait une amélioration des conditions de vie, c’était une des réalités de la vie dans notre pays. Aujourd’hui, le système dans lequel nous vivons, le système capitaliste non seulement n’apporte plus de réponse positive, d’amélioration individuelle et collective mais il conduit l’humanité vers une catastrophe annoncée.

Cette situation est particulièrement palpable, l’inflation, la recherche des profits à tout prix ou plutôt à n’importe quel prix, la situation économique et sociale que cela génère, des familles entières qui se posent désormais la question de se nourrir, une généralisation de la précarité du travail, la perte de sens du travail, le déploiement effréné d’une production pour la production sans autre considération que le profit.

C’est ce qui conduit l’anthropologue David Graeber à parler de « bullshit jobs » (« petits boulots de merde ») ou le juriste Alain Supiot à parler de « retour à la structure juridique du servage » pour désigner les emplois du type Uber ou Deliveroo. C’est ce qui a également conduit le philosophe Lucien Sève à parler de « dé-civilisation capitaliste » pour résumer le sort que notre époque réserve aux êtres humains aujourd’hui dans leur travail.

A cette situation s’ajoute les bouleversements climatiques, avec les incendies, les orages terribles qui en découlent. Bref, une situation invivable pour des millions d’être humains et pour la biodiversité animale et végétale. Et quand je dis invivable c’est au sens propre, des zones entières de la planète ne sont plus propres à accueillir le vivant.

A cela s’ajoute la guerre en Ukraine mais aussi dans 23 pays dans le monde avec un risque de généralisation des conflits et d’utilisation de l’arme atomique…

On peut dire que le capitalisme est entré dans une nouvelle phase de son développement, non seulement c’est un système de domination et d’exploitation mais aujourd’hui il menace directement le devenir de l’humanité.

Cette situation, décrite très brièvement, entraine dans la population un doute profond sur la capacité des formations politiques, à répondre à ces enjeux fondamentaux, à changer leur vie dans un sens positif puisque la dégradation des conditions de vie est continue.

D’ailleurs, une des caractéristiques de la situation, après les dernières élections, c’est un effondrement des partis politiques qui ont pendant longtemps structuré de façon dominante la vie politique, comme les Républicains et le Parti socialiste. C’est vrai en France, comme dans le reste de l’Europe.

Mais plus profondément, cette situation montre que le projet social-démocrate d’aménagement du capitalisme dans un sens plus favorable aux classes sociales salariées par des redistributions, des incitations, des législations ne peut plus fonctionner.  Il ne peut plus fonctionner car justement nous sommes à un stade de développement du système capitaliste mondialisé qui dans le cadre d’une concurrence effrénée pour imposer sa domination, impose de violentes régressions.

J’en tire une première conclusion, il n’y a pas d’issue possible, sans rupture avec ce système. Mais, qui dit rupture dit nécessité de faire émerger une réponse nouvelle. Je pense que nous avons besoin de fournir un travail important sur cette dimension du combat politique, car il ne suffit pas de dire que le capitalisme devient dangereux, qu’il mène l’humanité dans le mur pour rendre envisageable un autre avenir.

Comme aime à le dire mon ami Bernard VASSEUR, philosophe, la conscience du contre ne suffit pas à donner la conscience du pour.

Le combat pour l’amélioration de l’existant est nécessaire mais il ne suffit pas pour répondre aux régressions continues que nous impose le capitalisme. L’articulation entre luttes immédiates et transformations sociales, est seule en mesure de rendre crédible l’idée d’une sortie du système. Nous avons besoin de progresser sur ce sujet, d’autant que nous sommes la seule force politique à proposer d’en sortir.

Ce qui pose la nécessité de réinvestir la question du communisme au présent, sans cela nous resterons dans une désorientation profonde des électorats qui se traduit, d’une part, par la montée régulière de l’abstention, la désertion des scrutins, et d’autre part, par l’essor d’une extrême droite venue du fascisme qui promet le progrès social à ses nationaux par la haine et l’exclusion des étrangers, pour mieux enfermer dans le système.

Ceci, d’autant qu’il n’y a pas de désintérêt pour la politique, pour la façon dont nous faisons société ou pour la démocratie, je pense que régulièrement depuis maintenant plusieurs décennies cette volonté s’exprime avec force dans la société. Un moment fondateur reste l’extraordinaire bataille sur le traité constitutionnel européen en 2005, qui a marqué profondément les consciences et installé durablement la question européenne dans le débat public, mais on peut aussi parler des mobilisations sur les retraites en 2003 et 2010, les mobilisations contre la loi El Khomri, le mouvement des Gilets jaunes lors duquel s’est exprimé avec force une vitalité de la démocratie. D’autres mouvements structurants travaillent en profondeur la société, le féminisme, la bataille pour le climat et l’écologie, l’antiracisme et plus largement l’exigence de dignité des quartiers populaires et des zones délaissées qui refusent de continuer à être discriminées. Vous avez peut-être vu la conférence donnée par des étudiants ingénieurs à AgroParisTech dénonçant le système de l’agro-business dans lesquels leur préparation les conduit à s’intégrer.

Je pense qu’il y a un enjeu d’être à la hauteur de cette situation, qui en réalité est porteuse de très fortes exigences.

Si nous sommes d’accord sur le constat : Il ne peut y avoir d’amélioration à la marge du système pour le rendre un peu plus supportable par ce que fondamentalement, du fait de sa logique, il n’est pas amendable et que nous faisons le constat que ce système envoie l’humanité dans le mur, (crise du vivant, dé-civilisation. ET comme le déclarait Jaurès, « agir pour des réformes progressistes n’est pas seulement un palliatif aux misères présentes mais un commencement d’organisation socialiste, des germes de communisme semés en terre capitaliste, c’est dans ce mouvement que se construit la crédibilité, l’utilité d’un autre possible ».

Alors, il ne suffit pas de dénoncer les méfaits du capitalisme, il faut inventer et faire débattre pour la rendre désirable dans la société, l’idée d’un après-capitalisme qui s’appelle le communisme.

Ce qui signifie que le communisme doit être désirable pour lui-même (et pas seulement du fait que le capitalisme devient insupportable). Et pour le devenir, il doit se donner à voir, à imaginer, à être discuté, à être mis en débat dans l’opinion. Il s’agit donc de se demander à quoi ça ressemblerait le communisme, quelle « tête » ça aurait, en quoi ça serait désirable, y compris pour s’extraire de l’expérience des pays dits socialistes du XXème siècle.

Cela nécessite d’inscrire dans le présent le sens même du communisme.

Donc, nous avons besoin à partir de là, de réfléchir à la perspective et à la visée communiste dans la situation particulière où nous sommes, je pense évidemment au dernier épisode électoral qui avec la construction de la NUPES a redonné espoir dans la possibilité d’arracher des victoires, s’il existe des mobilisations sociales et citoyennes d’importance.

Tout en étant partie prenante du rassemblement, il nous faut mettre en débat, en réflexion et en luttes de sujets aussi cruciaux que la maîtrise par le monde du travail de la richesse créée, c’est-à-dire, la conception même de la façon de produire, son utilité et l’utilisation de la richesse créée. Et non sa simple répartition qui ne touche pas aux pleins pouvoirs du patronat sur l’entreprise et sur l’économie.

Nous devons prendre à bras le corps la question des majorités d’idées et donc de la bataille idéologique à mener.  S’il n’y a pas de maîtrise du sens des transformations à opérer (ce qui n’est absolument pas la maîtrise d’un programme de mesures), il n’y aura pas de transformation sociale possible. La question n’est pas seulement celle de la prise d’un pouvoir central, ni celle d’un ralliement ou d’un soutien au pcf mais il s’agit pour les salariés, les citoyens de faire l’expérience de leur capacité à changer les choses, à mettre en débat des solutions alternatives à ce système.

Dans ce cadre-là, le militantisme est une force considérable pour construire dans les luttes, (il y a une véritable pédagogie de la lutte), dans la solidarité concrète et dans la bataille idéologique, une capacité d’échange permanent, construire cette perspective nouvelle qui fera que les élections reprendront un intérêt nouveau mais que bien au-delà du temps électoral, les citoyens s’empareront de ces questions structurantes.

Alors, il faut continuer à être extrêmement présents sur le terrain, dans la reconstruction du lien social, sur les enjeux de solidarité, de justice sociale, les enjeux climatiques, démocratiques, mais ceci nécessite une articulation entre luttes immédiates et enjeux de transformation sociale.

C’est là que se construira la crédibilité d’un autre possible indispensable à la mobilisation des énergies.

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