Pascal Torre : Le capitalocène

Pascal Torre, secrétaire de section PCF, membre de la Commission internationale du PCF

Nous allons évoquer les relations internationales contemporaines à l’heure du capitalocène.

La notion d’anthropocène est déjà ancienne et a donné lieu à une littérature déjà bien étoffée. Il s’agit d’une nouvelle époque géologique qui se caractérise par l’impact déterminant des activités humaines sur les équilibres de la biosphère et par une pression sur les ressources naturelles.  Cela désigne les transformations et les dégradations environnementales provoquées par l’activité humaine.

Mais en ne pointant que l’activité humaine, l’anthropocène semble cautionner l’idée que la pression sur l’environnement est liée exclusivement à la nature humaine et non au système économique dans lequel il a inscrit son activité. C’est la raison pour laquelle s’est développé plus récemment la notion de capitalocène.

La mondialisation capitaliste est marquée par la conjonction sans précédent de plusieurs phénomènes globaux : expansion démographique, crises économique, sanitaire, alimentaire, environnementale et climatique qui bouleversent l’ordre du monde. Ce mouvement se traduit par une montée vertigineuse des inégalités, une soif renouvelée de domination et une résurgence des revendications identitaires dont les peuples sont victimes.

La mondialisation bouleverse l’ordre du monde. Plus que les décisions prises par les gouvernements ou les rivalités des Etats-Nations, les souffrances sociales, climatiques et environnementales orientent l’histoire laissant le politique à son impuissance ou à son indifférence. Si bien que le monde est de moins en moins géopolitique. Cependant, depuis le tournant du siècle, l’émergence protestataire marque une nouvelle étape de la mondialisation esquissant de nouveaux possibles pour le monde de demain.

Quelques éléments sur la déstructuration du monde à l’aune de la mondialisation capitaliste et la nécessité de lutter contre toutes formes d’insécurité humaine mais aussi l’exigence de changer de paradigme.

Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la mondialisation capitaliste avec une montée des contestations ouvrant de nouveaux possibles pour le monde de demain.

UN MONDE SE DEFAIT

Avec le Covid, l’humanité qui rêvait d’échapper aux contingences de son existence biologique s’est trouvée confrontée à l’évidence de sa fragilité. Et ce n’est qu’un avertissement presque sans frais des tourmentes face à l’émergence de nouvelles pandémies à venir.

Le coronavirus est une zoonose, résultat de l’exploitation et de la destruction de l’environnement (déforestation, monoculture, élevage intensif et industriel) par l’Homme dans une logique capitaliste productiviste. La multiplication des zoonoses est clairement liée à l’expansion de l’économie mondiale et aux altérations des équilibres du vivant qu’elle provoque.

La crise de Covid s’enchâsse dans un contexte antérieur de crise structurelle, encore plus meurtrier. Plus meurtrier que le virus, il y a le capitalisme mondialisé qui déstructure et défait les sociétés.

Crise économique : Avec la fin de la bipolarité, le marché capitaliste devait tout contrôler. Le politique asphyxié perdait sa vertu régulatrice alors que le social se réduisait à la théorie du ruissellement. Les résultats furent désastreux avec une flambée du chômage, de la précarité et de la pauvreté.

Crise écologique : La relation que la société de la marchandise a instauré avec le monde vivant, autorisant l’appropriation et l’exploitation des ressources naturelles est désormais en première ligne des remises en question.

Crise de la souveraineté : L’essor des flux internationaux ont rendu le monde plus interactif, fragilisant la souveraineté des Etats qui repose sur la territorialité, au fondement de la codification internationale.

Crise de l’hégémonie : Après la chute de l’URSS, l’accomplissement de la domination américaine semblait total[1] mais ce schéma se défait. La mondialisation d’aujourd’hui, dont les Etats-Unis furent les promoteurs, effraie les dirigeants et une partie de la société américaine. La montée des pays émergents dont la Chine ébranle leur confort hégémonique. Emerge dans ces sociétés, le ressentiment, l’insécurité sociale et culturelle, la peur du déclassement, de l’immigration, une perte de confiance dans les institutions, Washington prône un repli, prend ses distances avec les institutions internationales et promeut les idéologies du grand remplacement et du choc des civilisations à la base du communautarisme et du nationalisme.

Crise de la conflictualité : La mondialisation change aussi les formes de conflictualité. Pendant des siècles, la menace était liée à la puissance destructrice de l’autre. Il en résultait un monde de cloisonnement et de stigmatisation. Les guerres interétatiques, qui n’ont pas disparu, comme en témoigne le conflit en Ukraine, se font pourtant plus rares. Désormais, les conflits résultent davantage d’une multitude de souffrances sociales liées à la décomposition des sociétés. Ainsi, on assiste à une recrudescence des confrontations intra-étatiques avec, à côté des États, de nouveaux acteurs transnationaux, comme les multinationales, des entrepreneurs identitaires, culturels, religieux, voire ethniques, des milices, qui profitent du relâchement des allégeances citoyennes et des inégalités pour se lancer dans une concurrence effrénée afin de se partager les dépouilles de territoires à piller et à contrôler. Ce cycle de conflits risque d’évoluer vers l’état chronique de sociétés guerrières.

Pourtant, les puissances occidentales continuent d’interpréter les enjeux sociaux en termes de puissance politico-militaire. Elles sont convaincues que la puissance imposera une solution à leur avantage. Cette diplomatie, qui se drape de messianisme, de démocratie et de paix, sur le registre occidental, reste encastrée dans le cadre bipolaire (dialectique de l’ami et de l’ennemi) qui n’a plus de sens depuis la fin de la guerre froide d’autant que nous sommes dans une logique de fragmentation. L’idée qu’un camp soit capable de régler les problèmes du monde ne fait plus sens comme en témoignent les expériences afghanes ou bien celle du Sahel. L’idée de puissance doit être réinterrogée car elle est devenue impuissante pour régler les problèmes des relations internationales. Le rapport de force n’opère plus et les instruments militaires ne sont plus décisifs pour résoudre les crises. Pour ces raisons, les puissances occidentales accumulent les échecs car on ne combat pas les souffrances humaines par les armes.

Les grandes puissances occidentales, dont la grammaire s’articule autour de la compétition, de l’exclusion et du conservatisme, bloquent les évolutions vers plus de coopération, d’intégration et d’innovation. Elles nourrissent le sentiment identitaire et ignorent l’exigence de s’attaquer aux insécurités humaines[2].

Crise sociale :. Partout la fracture sociale s’accentue (inégalités, chômage, précarisation, misère, exclusion, ghettoïsation, sécession ses élites, délinquance, violence, féminicide, racisme, fondamentalisme religieux, replis identitaires). Le temps est marqué par l’individualisme compétitif, l’évaluation quantifiée et marchandisée de soi, dilution des liens interpersonnels, exigence impérieuse de réussite sociale. Or les fractures intimes qui en résultent sont bien souvent ce qui donne prise aux réactions identitaires nationaliste ou fondamentaliste.

Crise politique : perte de crédibilité des institutions de la démocratie représentative, la défiance à l’égard de la classe politique. La chape de plomb de la fatalité néolibérale, des politiques de moins en moins différenciées ont lassé l’électorat, notamment populaire. L’actuelle décomposition des systèmes politiques apparaît comme la conséquence d’une subordination structurelle des Etats aux forces de l’économie transnationale. Elle engendre des formes de nationalisme. Celui promu par l’esprit de revanche (Russie, Turquie, Chine) ou par le désir d’affirmation (Brésil, Inde, Chine). Il se traduit par l’accession au pouvoir de leaders populistes comme J. Bolsonaro, N. Modi, D.Trump, R.T.Erdoğan et B. Netanyahou qui plongent leur pays dans une longue et profonde régression démocratique. Ce nationalisme entretient le lien avec la guerre et l’explosion des dépenses militaires.

 Les soulèvements planétaires de 2018-2019 ont montré l’ampleur de la délégitimation des élites et des politiques néolibérales.

LUTTER CONTRE LES INSECURITES HUMAINES

En 2020, le monde a découvert que l’insécurité sanitaire dépassait tous les périls classiques. Les insécurités économiques, sociales et environnementales, migratoires, pèsent désormais sur toute l’humanité provoquant une désorganisation profonde des sociétés avec des cohortes de désastres humains. Le système capitaliste, la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine créent les conditions partout, notamment dans les pays du Sud, d’une profonde dépression.

            Depuis plusieurs décennies, les politiques néolibérales ont accru les fléaux des inégalités et de la pauvreté avec les dominations prédatrices des grandes puissances et la mise en concurrence des travailleurs par les grandes institutions financières internationales (Rapport d’Oxfam : Le virus des inégalités mondiales, 2021). Cela attise partout les frustrations socio-économiques, les tensions identitaires et religieuses ou les conflits armés.

            L’insécurité alimentaire fait près de 10 millions de morts par an tandis que le problème de la faim affecte 800 millions d’êtres humains (Rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture [FAO] : L’état de la sécurité alimentaire dans le monde, 2021). L’agriculture productiviste, les complexes agro-industriels encouragés par les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) génèrent un système non-soutenable qui provoque un effondrement de la biodiversité, l’érosion et l’artificialisation des sols. La hausse des prix des produits alimentaires s’accélère, frappant les plus pauvres. L’alimentation occupe en effet 40% des dépenses dans les pays les moins avancés et 20% dans les pays émergents. Alors que les factures d’importation flambent, que les pénuries menacent, que les chaînes d’approvisionnement sont perturbées, nombre de gouvernements envisagent de mettre un terme aux subventions sur certaines denrées.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’insécurité climatique est à l’origine de 8 millions de morts par an. Pluies diluviennes en Afrique du Sud, accélération de la désertification du Sahel, sécheresse dans le sous-continent indien, incendies en Australie ou en Russie, fonte des glaces et élévation du niveau des océans… Des régions entières risquent de devenir inhabitables. Si les causes de ces phénomènes sont bien documentées, il est désormais impératif d’articuler les questions sociales à celles du climat en s’attaquant à ce mode de production, au commerce mondialisé et à l’accaparement des richesses. Les pays du Sud sont les plus vulnérables et sans investissements dans les infrastructures qui protègent des chocs climatiques, les coûts vont être plus lourds à supporter d’autant que nombre d’entre eux paient déjà les frais d’une mondialisation en perte de vitesse.

On ne parvient plus aujourd’hui à chiffrer les dégâts de l’insécurité sanitaire. L’OMS alerte sur la résurgence de maladies mortelles comme la rougeole, la polio ou la fièvre jaune en raison d’un recul de la vaccination. En 2020, 23 millions d’enfants en ont été privés. Et que dire des 44% de la population mondiale qui n’a même pas reçu une première dose de vaccin contre le Covid-19 alors que les brevets demeurent privés (Rapport de l’OMS sur la couverture vaccinale, 2022). La marchandisation et la privatisation des politiques de santé publique sont responsables de cette situation tout comme le modèle dominant de la recherche-développement qui ne vise qu’à maximiser les profits.

 L’insécurité est également éducative. La pandémie a interrompu l’éducation de millions d’enfants notamment dans les pays les plus pauvres. Cela entraînera des conséquences dévastatrices sur les parcours individuels, la productivité et les revenus des futures générations (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO], Rapport mondial de suivi sur l’éducation, 2022).

Enfin, l’insécurité frappe les migrants. Dans un monde global et ouvert, les migrations progressent en raison des déséquilibres démographiques et des insécurités. Elles ont acquis une dimension structurelle et durable que rien n’arrêtera. Ces hommes et ces femmes doivent pourtant faire face à la mort, à la répression, à des accueils désastreux, des humiliations ou des exclusions. Il y a urgence à inventer dans ce registre des politiques plus humaines en insistant sur le caractère positif des phénomènes migratoires.

Ces insécurités humaines sont la cause des conflits d’aujourd’hui et de demain. Toutes les conditions d’une profonde dépression sont aujourd’hui réunies notamment dans les pays du Sud confrontés au durcissement des politiques monétaires, aux risques de défaut de paiement, au fardeau de dettes, à l’assèchement des dépenses publiques, à l’inflation, à l’effondrement monétaire… alors que la corruption et la gabegie des classes dirigeantes provoquent de véritables affaissements de sociétés (Sri Lanka, Pakistan, Bangladesh, Pérou). Il serait illusoire de nationaliser des menaces qui sont de nature globale en fermant les frontières ou en mettant en œuvre des politiques souveraines nécessairement contradictoires au niveau des États. Il y a urgence à renforcer les compétences des institutions internationales comme la FAO, l’OMS, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ou le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), afin de mieux repenser le monde dans l’interdépendance. La sécurité humaine doit se construire de manière globale. En satisfaisant les besoins des autres, chaque acteur renforce les conditions de sa propre sécurité.

La lutte contre les inégalités sociales devrait être la priorité absolue. C’est le seul et unique moyen de vaincre l’instabilité globale et de repenser la paix. Alors que le capitalisme se fait plus dur, des luttes sociales se développent qui remettent en cause ces logiques, les paradigmes  dominants.

CHANGER DE PARADIGME

Le capitalisme est l’ennemi. L’impératif de valorisation du capital et le productivisme compulsif qui lui sont inhérents constituent les causes majeures du chaos climatique, de la dévastation des milieux de vie et des crises multiples que nous avons évoquées. L’exploitation du travail, le pillage colonial, l’invisibilisation d’une partie du travail des femmes, la spoliation des ressources naturelles sont aux bases du système.

Mais le capitalisme n’est pas seulement un système économique organisé autour et pour la production marchande. Il est aussi une civilisation impliquant des conceptions spécifiques de l’être humain et du rapport au monde ainsi que des modes de production des subjectivités.

On ne peut espérer sortir du capitalisme sans récuser une modernité qui a comme principaux fondements le naturalisme (coupure entre Humanité/Nature), l’illusion individualiste du sujet autonome et l’universalisme abstrait qui ont accompagné l’essor de l’hégémonie occidentale.  

Sur le naturalisme : La conception naturaliste (Bacon, Galilée, Descartes) considère que l’homme doit se rendre maître et possesseur de la nature. C’est le fondement de l’exploitation sans retenue des ressources naturelles.

Rien ne sera possible sans défaire cette conception.

Aujourd’hui les réflexions se multiplient pour penser les humains comme partie intégrante du monde du vivant. Nous devons avancer l’idée que le monde vivant est in appropriable parce que la pérennité de la vie en dépend.

Cela ne suffit pas. Il faut aussi se méfier d’une vision qui renverrait l’homme à un tout indifférencié opposant une fin de non-recevoir aux aspirations émancipatrices et au désir d’invention. De plus, si le monde vivant est interdépendant, il est aussi hétérogène et il ne saurait être question de dissoudre l’humain dans l’unité du vivant.

Nous devons porter ce débat en assumant tout à la fois notre appartenance à la communauté de tous les habitants de la planète tout en considérant que cela ne conduit pas nécessairement à rejeter toutes notions d’humanité. Les chemins ne manquent pas pour articuler notre double appartenance à la communauté des humains et à la communauté de tous les habitants de la Terre.

Le second point porte

Sur l’individualisme : L’individualisme est un autre pilier de la modernité à défaire. On distingue deux notions de l’individu :

  • Celle mise en évidence par M. Mauss. Un Homme est un être qui a le sens de sa propre existence individuelle, qui manifeste sa capacité de dire je, à valoriser sa singularité individuelle sous forme de réflexivité et d’intériorité
  • Il y a une autre conception qui a émergé avec l’individualisme moderne. L’individu est un être autonome et s’impose comme la valeur suprême. Il est considéré comme prééminent par rapport à la société (Hobbes, Locke, Descartes). L’individu est un acteur rationnel agissant en fonction de ses intérêts. L’homme serait de nature égoïste (conception strictement occidentale)

Voilà une conception à combattre si on veut se débarrasser du capitalisme. La question n’est pas simple. Comment se dissocier de l’individualisme sans se contenter de l’inverser en fondant la prééminence du collectif sur le sacrifice de toute forme d’individualité ?

Là aussi les réflexions sont nombreuses.

L’individu n’est pas une construction abstraite qui préexiste à la société. La personne est un nœud de relations qui la lient à son milieu. C’est ce qui permet d’envisager un basculement du règne des subjectivités compétitives propre à la société marchande vers le primat de subjectivités coopératives. On redécouvre qu’il n’est pas besoin de l’emporter sur autrui pour éprouver sa propre existence. Prendre soin du collectif, c’est prendre soin de soi et cultiver le sens commun n’est en aucun cas renoncer aux singularités individuelles.

Le troisième point concerne :

Sur l’universalisme : L’universalisme des Lumières est construit à partir d’une idée abstraitement unifiée de l’Homme comme si l’affirmation de l’égalité en droit et en dignité impliquait d’omettre les différences concrètes entre les êtres réels. Cette abstraction est à l’origine d’invisibilisation d’autres différences liées au clivage colonial ou à la distinction de genre. Cet universalisme a accompagné l’expansion de la domination européenne et la mise en place du système-monde capitaliste.

Un universalisme universel reste à construire par un travail dialogique et interculturel impliquant la critique radicale de toutes les dominations. Un universalisme de la multiplicité récuserait toute indifférence aux différences. Cela ne manquerait pas de pertinence en un moment historique marqué par le renforcement des identités essentialisées et excluantes.

La question des rapports de productions capitalistes, des formes d’exploitation et une conception de la modernité sont souvent au cœur de la montée des contestations.

LA MONTEE DES CONTESTATIONS

Au tournant du siècle, une montée de la contestation marque un nouvel acte de la mondialisation.

Dans les années 1980-1990, les mouvements sociaux se déroulaient essentiellement dans l’espace national. Dès la décennie suivante, ces luttes ont dépassé ce cadre avec les manifestations de Seattle, Occupy Wall Street ou les sommets altermondialistes. La crise de 2008 marque un tournant dans ce processus avec le déclenchement des printemps arabes. En 2019, ces mouvements acquièrent des caractéristiques plus décisives affectant tous les continents.

            Leurs points communs résident dans le manque de perspectives économiques et sociales, le rejet de la corruption, de la prédation des classes dirigeantes, de la sujétion et de l’autoritarisme.

L’impossibilité de réaliser des compromis avec les Etats en place, les conduit à inscrire leur combat dans une remise en cause du « système » de représentations politiques, institutionnelles et confessionnelles confisquées par des clans, des ploutocrates, des religieux ou des militaires. 

De larges secteurs sociaux conjuguent attentes politiques face à la crise institutionnelle et impatiences sociales liées aux dysfonctionnements de la mondialisation néolibérale.

Dans le dynamisme des mobilisations, ils parviennent pour un temps à dépasser les particularismes identitaires (Irak, Algérie, Liban).

Pour ces mouvements, il ne s’agit plus d’obtenir gain de cause sur une revendication sectorielle mais de traiter les problèmes à la racine, d’où leur radicalité.

            Si ces mouvements empruntent certaines formes d’organisation et d’actions aux organisations traditionnelles, ils génèrent une culture politique spécifique.

  • À la différence des révolutions partisanes structurées autour d’une idéologie, d’une organisation et d’un projet politique, presque tombées en déshérence, ces mouvements citoyens pacifiques, qui traduisent avant tout l’exaspération, ne disposent pas d’ossature politique, organisationnelle et d’unité idéologique[3]. Leur culture, leurs modes d’organisation et d’actions les conduisent à revendiquer leur indépendance et à privilégier des espaces alternatifs. De ce fait, ils sont peu enclins à se reconnaître dans les systèmes politiques traditionnels en raison des déceptions passées et des défaites récurrentes.

Ces mouvements ont déjà remporté d’immenses victoires avec l’annulation de mesures et la chute de gouvernements. Mais la chute de ceux qui représentent ces régimes ne signifie pas la chute de ces régimes. C’est là une difficulté majeure.

            Ils sont par ailleurs confrontés à de nombreux défis.

  • Ils doivent gérer les limites induites par leur mode d’organisation. Cela fragilise leur capacité à surmonter les divisions internes mais aussi à résister aux confrontations avec des pouvoirs brutaux (Égypte, Syrie).
  • De plus, l’absence de projets politiques alternatifs d’ensemble font perdre à ces mouvements leur cohérence où les récriminations sociales se mêlent à l’usage de référents identitaires ou nationalistes (Gilets Jaunes).
  • Le drame de la séquence actuelle réside dans le fait que la dynamique sociale n’appartient plus au politique. Dans ce contexte, les issues sont opaques et le danger est grand de voir les forces populistes s’y frayer un chemin.

Si le bilan de ces mouvements est plutôt sombre, ils s’inscrivent dans un processus de longue durée.

Dans ce contexte, la question est bien : Qui de la conservation ou de la réinvention du monde ira le plus vite ? La seconde option ne sera possible que dans le cadre d’une gouvernance globale.

QUEL MONDE DE DEMAIN

Compte tenu de ces considérations, quel monde demain dans une perspective prospective ?

Pendant longtemps, les groupes humains ont été circonscrits (clans, nations). Nos cadres de pensée ont été façonnés par cette longue durée. Il n’est donc pas facile de concevoir, de penser ces évolutions. S’entêter dans cette voie serait une tragique erreur[4].

Aujourd’hui l’humanité devient une communauté. Les crises diverses démontrent que la mondialité s’impose comme le véritable espace collectif de décision.

De toute évidence, il est plus difficile d’imaginer la fin du capitalisme que la fin du monde, de donner consistance à un imaginaire alternatif qui n’est pas celui qui a dominé le XXème siècle aboutissant au dévoiement des espérances révolutionnaires.

Il serait risqué et naïf de considérer le monde de demain comme un nouvel Eden. Mais à n’en pas douter, les notions de puissance et de pouvoir seront à réinventer. Plusieurs mondes sont possibles s’entrecroisent, s’entrechoquent.

La vision de l’effondrement (ou collapsologie) est très présente : le changement de climat, l’épuisement des ressources, les inégalités, les dangers des sociétés guerrières et nucléaire donnent à tout le moins quelques fondements à cette vision. Pour autant nous pensons qu’il s’agit d’un scénario trop univoque et dépolitisé.

Autre vision : la reproduction de la société de la marchandise : Rien n’exclut que le capitalisme continue à se reproduire et à entretenir sa dynamique de domination et d’accumulation fondée sur une croissance largement fossile. Il englobera le tout marché et le tout numérique. Le tout-numérique pourrait marquer une rupture avec l’humanisme des droits humains mais aussi une révolution pouvant conduire hors de l’espèce humaine vers un post-humanisme. Le tout faisant rimer mondialisation avec déshumanisation et dénaturation. Nous pouvons nous préparer à une période de tourmente croissante… le capitalisme n’a pas dit son dernier mot.

D’autant que se multiplie des systèmes hyper-autoritaire qui exercent un contrôle total sur les populations.

Dans cette conception nous aurions tort de prendre à la légère le « Green New Deal écologique et social » (ou capitalisme vert).

Certes, on ne saurait nourrir d’illusion quant à la portée du « capitalisme vert ». Les capitaux bloqués dans les énergies fossiles et les contraintes concurrentielles de la globalisation, les exigences de valorisation, les logiques extractives et de croissance lui laissent peu de chance. Il n’est pas exclu que le capitalisme engage une transition écologique en la combinant avec la marchandisation à outrance.

Il est enfin une autre vision, celle des basculements.

  • Elle ne sera possible que par l’intensification des réactions collectives d’insubordination en s’appuyant sur la crise structurelle qui ouvre des mondes émergents et désirables qui se déploient dans les interstices de cet univers marchand.
  • Rien n’est possible sans rupture avec le productivisme capitaliste, le monopole étatique du politique et les fondements anthropologiques de la modernité.

Mais je crois qu’il peut également advenir une mondialité ouverte à la diversité, attentive aux interdépendances, à l’altérité, soucieuse de justice sociale, de solidarité et respectueuse du droit des peuples.

Il sera nécessaire de changer les institutions internationales en redonnant toute sa vigueur au multilatéralisme car face aux grands enjeux, les réformes souveraines ne sauraient avoir une grande efficacité.

Ce multilatéralisme sera ouvert aux questions sociales, assurera la promotion des biens communs matériels (eau, air, matières premières…) et symboliques (respect des droits humains, démocratie…) dans le cadre d’une gouvernance globale, sans exclusion, et fondée sur une logique coopérative.

C’est de ce monde dont l’humanité a besoin. C’est le fondement de l’engagement communiste.

QUESTIONS

 

SUR LA NOTION L’ALLIANCE

Durant la guerre froide la notion d’alliance avait un sens. Mais à l’échelle de l’histoire cela apparait comme une parenthèse. Les puissances occidentales s’accrochent à cette vision.

L’erreur est de continuer à raisonner en termes de blocs

Si le « grand frère » ne commande plus et/ou fait défaut, il garde une capacité de mobilisation, de manipulation en s’appuyant sur des ressources moins visibles. Il s’agit d’une forme appauvrie de leadership mais qui demeure à peser.

On l’oublie, mais le monde bipolaire était particulièrement dangereux

LOGIQUE DE FLUIDITE ET DE PRAGMATISME :

La Russie et la Turquie ont noué des liens de connivence qui n’ont rien à voir avec la notion d’alliance d’antan. Elles n’engagent sur rien mais leur permettent de contrôler un temps l’agenda international, de peser.

Idem pour l’Inde et le Pakistan

Tout cela crée une faible lisibilité des interactions entre Etats dans les régions conflictualisées

Le maître mot est le pragmatisme dans un contexte de mondialisation. En plus des impératifs économiques, il y a des impératifs sécuritaires. Les Etats du Sud maximisent leurs chances en prenant leur distance avec les puissances tutélaires.

D’une certaine manière, ces évolutions désamorcent d’une certaine manière la guerre des civilisations. Ces nouvelles connivences se font en négation de tout alignement idéologique ou culturel. Cette multiplicité des connivences, instables, en recomposition peut être une manière, de frein aux conflits généralisés.

Ces évolutions sont source de dangers nouveaux : imprévisibilité des situations

OTAN

Face à cette réalité, l’OTAN apparaît comme un modèle vieillot, inadaptée, lourde à gérer.

Le conflit ukrainien déroge à cette vision qui s’inscrit dans la grammaire de l’OTAN.

Il est difficile pour les alliances de ce type d’être durables et de se structurer, de se mondialiser.

NOUVEAU BANDUNG

On ne s’intéresse pas suffisamment à ce qui apparaît comme un Bandung II au fil des résolutions des AG de l’ONU. Sur la crise ukrainienne, une quarantaine d’Etats ont refusé de s’aligner. Ces pays veulent jouer un rôle actif sur la scène internationale refusant de payer la facture d’une guerre dont ils sont étrangers.

Les pays occidentaux ne se rendent pas compte à quel point leur position est affaiblie par leur arrogance et le soupçon de néo-colonialisme.

CRISE SYSTEMIQUE

Le poids des crises à dimension planétaire se multiplient. On passe d’une sécurité en termes nationaux à une sécurité reconstruite en termes globaux.

La logique de connivence ne sera pas de ce moins de vue plus efficace.

ONU

Ce qui faisait la force de l’ONU : la confiance accordée aux plus puissants en 1945. Cela n’existe plus. Les 5 co-gérants du monde ne sont plus installés dans une posture de blocage consistant à pérenniser leur rang, c’est ce qui explique la paralysie du conseil de sécurité.

L’ONU est formellement non réformable… puisqu’il faut l’accord des cinq ! Mais l’ONU s’est réformée en poussant pragmatiquement à un multilatéralisme social (PAM, UNICEF, FAO, OMS)

 

MULTILATERALISME (Guillaume Devin)

Monde interdépendant, la question du multilatéralisme cardinale. Indispensable, inefficace… mais des acquis.

Multilatéralisme, nébuleuse qui regroupe des enceintes qui regroupe plusieurs partenaires.

On connaissait le multilatéral mais pas le multilatéralisme. Cela apparait fin XIX, qui répond à une nouvelle situation du monde : la première mondialisation. Des organisations techniques : postes, télégraphes, hygiène publique. Cela va s’étendre sur la partie européenne. Une nouvelle fonction fonctionnaliste émerge : créer des endroits où on peut négocier les fonctions qui posent problèmes. Cela est consubstantielle des premières organisations.

A la suite de la 1WW : SDN à vocation universelle. Elle est politique mais reste appuyée sur des organisations techniques. SDN : sa fonction était la sécurité collective : la paix devient un objectif des organisations internationales. De manière négative (arrêter la guerre) et positive. Conception différente de la sécurité et de la paix. La paix avant c’était l’équilibre des puissances. Maintenant déséquilibre des puissances : tous contre le perturbateur.

Perspective à produire des résultats mais aussi rapprocher les Etats pour freiner les engagements guerriers.

Ce jalon poursuivit avec création de l’ONU : SDN avec des « dents » c’est dire le « conseil de sécurité ». Les NU vont être le vecteur du dynamisme du multilatéralisme.

  • Méthode institutionnalisée itérative (dialogue permanent). Difficile de suivre toutes les réunions pour les Etats
  • Une politique tournée vers valeurs et idéaux inscrites dans les réalités et contextes historiques donnés (droits humains…). Ces idéaux ont été le carburant de l’action multilatérale

Cet édifice est

  • Résilient : propose résultat et réponse
  • Fragile parce qu’il est politique. Si l’édifice n’est pas partagé, il peut s’effondrer.

Comment cet ensemble a évolué depuis 1945 ? Tous les secteurs sont saisis dans un ensemble international (ex : respect de la charte de Venise pour la réfection de Notre Dame)

Combien y a-t-il d’organisations internationales ? 300 + organisations non gouvernementales et 10 000 ONG. (art.71 statut consultatif), organisations régionales. Cela forme un vaste écheveau d’organisations qui façonnent les conduites.

Le système est devenu complexe : compétences, mandats élargies qui se chevauchent. Partout exigence de coordinations.

On ne peut plus penser le monde par organisations. Aujourd’hui il faut penser le système. Ex : pandémie pb santé, déforestation, agriculture, développement… Il faut penser global, en termes de système (c’est-à-dire définir des priorités). Le système international ne parvient pas à définir des priorités. Comment définir les priorités ?

Beaucoup de développement de réussite dans un parcours accidenté. Il n’y a jamais eu d’âge d’or du multilatéralisme. L’association des ONG a permis des avancées.

Depuis 2010 : retour des turbulences : blocage russe sur le conflit syrien, pb sino-EU, développement d’un véto au conseil de sécurité.

Aujourd’hui retour du jeu des puissances, enchevêtrement des compétences, normative (jamais le droit international n’a jamais été aussi massif… mais de quel droit s’agit-il ? mou ou dur ?). Une crise politique, fonctionnelle, normative.

Cmt interpréter la situation actuelle ?

  • La crise actuelle des organisations internationales est structurelle liée à une nouvelle distribution de la puissance… un retour des blocs et une forme de dé-multilatéralisme
  • Il y a une dimension liée au multilatéralisme lui-même. Le multilatéralisme a des effets et cause de difficultés… c’est peut-être la rançon du succès. L’ensemble est allé loin et pose deux types de problèmes : pour des Etats, la coopération internationale débouche sur trop d’obligations pour les puissants (traités, conventions encombrants). La dynamique multilatérale inclut de plus en plus les sociétés. Ce processus inclusif est clairement refusé par de nombreux pays. Les Etats Unis sont contraints par le multilatéralisme. Les puissances moyennes, la carte multilatérale est la carte essentielle. Les pays du Sud ont besoin du multilatéralisme
  • Le 2ème problème : plus les institutions sont importantes et influentes, il faut qu’elles soient légitimes par les procédures, par les résultats.

Quel risque principal ? c’est de ne plus y croire. L’opinion a un rôle important à jouer. Si on est pro actif dans ce domaine on risque des désengagements, des échecs.

Un engagement citoyen ; refus du déni, défense droit international… Considéré que des pays n’ont pas de compte à rendre c’est tirer un trait sur tous les acquis internationaux.

L’exemplarité devrait être la politique française. Ex : Aider les Israéliens qui prennent des risques.

Opposition logique coopération/intérêt : La coopération n’existe pas sans les intérêts. On coopère parce que la coopération fait du bien.

 

CAPITALOCENE

Anthropocène : une nouvelle époque géologique qui se caractérise par l’impact déterminant des activités humaines sur les équilibres de la biosphère et par une pression sur les ressources naturelles.  Cela désigne les transformations et les dégradations environnementales provoquées par l’activité humaine.

Mais en ne pointant que l’activité humaine, l’anthropocène semble cautionner l’idée que la pression sur l’environnement est liée exclusivement à la nature humaine et non au système économique dans lequel il a inscrit son activité.

 C’est la raison pour laquelle s’est développé plus récemment la notion de capitalocène.

Le concept de capitalocène revient à analyser les différentes phases du développement du capitalisme et les dynamiques socio-écologiques globales qui y sont associées. Les historiens ne sont pas forcément d’accord entre eux : fin XVIII ou guerres mondiales.

  • Dans cette histoire longue du capitalocène, l’avènement du charbon comme source d’énergie dominante avec la machine à vapeur de J. Watt ont permis que s’enclenche une accélération de l’accumulation capitaliste. C’est là que commence vraiment la pression de l’activité humaine sur l’environnement.
  • Puis le pétrole a vu son heure de gloire même si la consommation du charbon n’a pas disparu. Les deux guerres mondiales furent des accélérateurs du capitalocène. Les choix et les innovations techniques initialement liés à la guerre irriguèrent la société civile. Un consensus productiviste se met en place tournant le dos à toutes les formes de modération énergétique.
  • Ce prisme du capitalocène nous invite à réviser notre appréciation rétrospective d’une période souvent considérée comme idyllique (Les 30 glorieuses). Celle-ci vit s’imposer un mode d’accumulation couplant production et consommation de masse très énergivores, peu respectueuse de l’environnement et imposant une économie hautement carbonée.
  • Le constat de l’accélération de la dégradation de l’environnement avec l’avènement du capitalisme financier interroge sur la compatibilité entre capitalisme et préservation de l’habitabilité de la terre par l’espèce humaine.

Le capitalisme pourra-t-il se transformer ? Une auto-limitation de son expansion est intrinsèquement opposée à sa nature. Cette période a débuté soit à la fin du XVIIIème soit après la seconde guerre mondiale.

Les notions d’anthropocène et de capitalocène ne s’opposent pas forcément. L’Anthropocène marque une entrée dans une période historique, géologique marquée par l’action de l’Homme qui modifie de façàn globale le système terre

 

[1] Bertrand Badie, L’hégémonie contestée, Ed. Odile jacob, 2019

[2] Bertrand Badie, Les puissances mondialisées, Ed. Odile Jacob, 2021.

[3] Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud, Le rendez-vous manqué des peuples, Ed. Autrement, 2022

[4] Mireille Delmas-Marty, Sortir du pot au noir, Ed. Buchet Chastel, 2019

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